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Dans notre pays, 5 à 8% des parents souffrent de burnout parental, ce qui place la Belgique dans le top cinq des pays où cette problématique est la plus fréquente (selon une étude internationale menée dans 45 pays en 2018-19). Pourquoi occupons-nous cette place de leader ? " C'est probablement dû aux normes assez intenses qui entourent la parentalité. On exige beaucoup des parents, une série de législations font qu'ils se sentent extrêmement responsables de ce qui arrive à leurs enfants. Et ils se mettent aussi la pression pour être d'excellents parents ", a expliqué la Pr Isabelle Roskam (faculté de Psychologie et des Sciences de l'éducation) lors d'un webinaire de la Fondation Louvain (*). " Nous vivons dans un pays qui fonctionne sur des valeurs individualistes, où l'individu est plus important que le groupe. Nous sommes élevés dans cette idée : tout le monde doit tracer sa route, exprimer ses besoins... À un moment donné, on est en tension en tant que parent parce qu'il faut prendre soin de soi et en même temps de ses enfants, et finalement, on n'a jamais l'impression d'être là où il faut : si on voit des amis, on culpabilise de ne pas être avec ses enfants et si on s'occupe sans cesse d'eux, on est frustré de ne pas trouver de temps pour soi ". Dans d'autres pays, c'est le groupe qui prime sur l'individu. " Quand on discute avec des gens de cultures différentes, ils se posent dix fois moins de questions que nous sur ce fameux équilibre entre besoins personnels et besoins de l'enfant ". Par ailleurs, le burnout parental est un champ d'étude assez récent, il est moins connu et moins documenté que le burnout professionnel. " Notre équipe a commencé à publier sur ce sujet en 2017. Le terme a été évoqué pour la première fois dans les années 80 par des chercheurs américains, mais personne ne s'est saisi du problème à cette époque-là ", constate-t-elle. Le burnout parental résulte du même mécanisme que le burnout professionnel, à savoir un déséquilibre entre les éléments stresseurs et les ressources pour y faire face. " Le confinement a subitement modifié cet équilibre en supprimant les ressources auxquelles les parents avaient d'habitude accès. Par exemple, les grands-parents pour garder les enfants, les activités des enfants et celles des parents (travail, loisir) et aussi tous les services d'aide comme les psychologues. Ils ne pouvaient plus compter que sur leurs ressources personnelles ", précise Isabelle Roskam. D'un autre côté, les stresseurs ont aussi été modifiés : certains ont disparu, comme les activités extrascolaires, et d'autres se sont ajoutés, par exemple, les parents ont dû se transformer en enseignant et en éducateur pour leurs enfants. Malgré ce déséquilibre engendré par le confinement, l'étude de l'UCLouvain n'a pas montré d'augmentation de la prévalence du burnout parental. En revanche, elle a mis en évidence une polarisation des familles : pour 30%, le confinement a été une aubaine, ces parents ont ressenti moins d'épuisement et se sentent plus connectés à leurs enfants (ils en ont profité pour avoir du temps de qualité avec eux (repas en famille, activités inhabituelles...)) ; et pour 25-30%, il a été un cauchemar, avec une augmentation importante des symptômes du burnout parental. Le premier d'entre eux c'est le sentiment d'épuisement intense dans le rôle de parent. " Comme on est fatigué, on se tient à distance de la source du stress, une distance émotionnelle s'installe, on fonctionne en pilote automatique. C'est assorti d'une perte de plaisir comme parent, tout devient une corvée, alors que ces personnes ont désiré avoir des enfants. C'est comme un burnout professionnel : on ne peut pas en souffrir si on n'est pas investi ", fait-elle observer. En se basant sur une série de facteurs sociodémographiques objectifs (confinement avec combien d'enfants, âge, besoins spécifiques (handicap...), présence du partenaire, télétravail, supervision du travail scolaire, soucis de santé, taille de l'habitation, jardin...), l'équipe a déterminé dans quelles conditions les gens étaient confinés. Elle a observé qu'aucun de ces facteurs ne permet de prédire s'ils vont vivre le confinement comme une bénédiction ou un cauchemar. " Cela nous apprend qu'il n'y a pas de profil pour ce genre de burnout, cela peut arriver à tout le monde. C'est un mythe de croire que le burnout concerne plutôt les femmes, les familles monoparentales, les gens précarisés, les citadins... Aujourd'hui, on sait qu'il faut faire de la prévention chez tout le monde parce que nous sommes tous susceptibles de tomber dedans ", met-elle en garde. Le questionnaire s'est aussi intéressé à des aspects plus subjectifs tels que la question de savoir si le confinement a modifié quelque chose dans la parentalité ou la relation aux enfants ? " On se rend compte que c'est l'expérience subjective qui importe, ce que les gens font du confinement. Ce qui compte ce n'est pas d'avoir une grande maison, d'être confiné avec deux ou six enfants, c'est ce que, psychologiquement, on est capable de faire d'une expérience comme celle-là. C'est le noeud du problème, il n'y a pas de population à risque et ce qu'il faut faire si on en vient à être reconfiné, c'est ne pas fermer l'aide psychologique ". Les spécialistes s'inquiètent du burnout parental parce que ce n'est pas un trouble rare, mais aussi parce que ses conséquences sont délétères, non seulement pour celui qui en souffre (beaucoup plus d'idées suicidaires qu'en cas de dépression ou de burnout professionnel) mais aussi pour les enfants (négligence du parent en burnout, violence verbale et physique). Un des premiers signes qui doit attirer l'attention c'est l'épuisement. " Ce qui montre que c'est du burnout parental et pas de la dépression ou du burnout professionnel, c'est que c'est contextualisé aux relations avec les enfants. Quand on se sent épuisé, il faut se demander ce qu'on a dans sa balance : à quels stresseurs il faut faire face de manière chronique et quelles ressources on a pour y faire face ? La clé c'est de limiter le stress et d'augmenter les ressources, et ceci, que l'on soit en confinement ou pas ", souligne Isabelle Roskam. Ensuite, il convient de bien identifier le problème et de mettre des mots dessus. " Si on verbalise et qu'on sait que cela n'arrive pas qu'à soi, c'est un premier soulagement. Ce qui est spécifique au burnout parental c'est qu'on peut être amené à dire à l'enfant qu'on est en souffrance en tant que parent, sans faire passer le message qu'il est à la source de cette souffrance. Souvent, il y a des choses à réparer dans la relation, mais il ne faut jamais aller au-delà des préoccupations de l'enfant. Il faut être ouvert à la discussion sans aller trop loin ". " C'est une grande note d'espoir : ça ce soigne ! On a fait des études d'intervention où en huit semaines, en travaillant de façon concrète sur cette idée de balance, on améliore la situation. Ce type de prise en charge est scientifiquement prouvé, avec une diminution des symptômes et des plaintes somatiques (dos, sommeil...) et du cortisol, mesuré dans les cheveux sur les trois mois qui précèdent l'intervention et après (- 52%). Le bon réflexe est d'aller sur le site www.burnoutparental.com où il y a de l'info pour les parents, les professionnels et les chercheurs, et où on peut trouver un professionnel formé à cette problématique ", conclut la Pr Roskam. 10 septembre, uclouvain.be