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Accorder le droit de voyager en Europe cet été, d'assister à des concerts ou des matchs de foot, voire attirer des spectateurs à Francorchamps fin août, c'est l'enjeu du Coronapass, qu'il soit belge ou européen. Mais est-il éthique de donner un bonus à une partie de la population alors que tous n'ont pas eu accès au vaccin? Le Comité consultatif de Bioéthique de Belgique a émis le 10 mai 2021 un avis relatif aux considérations éthiques et sociétales liées à la mise en place d'un "pass corona" et d'autres mesures transitoires d'assouplissement des contraintes sanitaires. "La campagne de vaccination a fait entrer l'épidémie dans une nouvelle phase. Bien que le risque zéro n'existe pas, la vaccination permet de réduire drastiquement la menace que constitue le virus, en particulier pour les personnes vaccinées, et elle a aussi permis d'alléger la pression sur le fonctionnement des hôpitaux. Dans le même temps, le virus n'a pas disparu et la prudence reste de mise. Les personnes qui n'ont pas été vaccinées peuvent néanmoins tomber gravement malades. Et de nouveaux variants peuvent apparaître et échapper à l'effet protecteur des vaccins. Dans cette phase de transition, des mesures peuvent être prises pour rouvrir partiellement la société. La question se pose notamment de savoir dans quelle mesure les autorités peuvent ou doivent tenir compte du statut d'immunité des personnes concernées conféré par la vaccination complète ou résultant d'une infection passée au Sars- CoV-2 ou d'un test négatif", explique le professeur Paul Cosyns, vice-président du Comité. Dans ce contexte, certains pays emploient déjà un "pass corona". l'UE travaille également à la mise en place d'un "certificat vert numérique" pour les voyages. Qu'en pensent les bioéthiciens? N'est-ce pas briser le principe d'égalité que de permettre de différencier les vaccinés (et ceux qui ont développé des anticorps après avoir développé la maladie) des autres? La réponse est clairement négative, répond le comité qui se montre plutôt favorable au coronapass, mais avec des réserves éthiques importantes. "Dès que la situation épidémiologique le permettra, toutes les restrictions sanitaires devront être levées parce que les limitations à des libertés fondamentales ne seront plus justifiées. La vaccination, l'immunité, mais également un test de dépistage négatif récent constituent une situation distincte, rendant légitime la différence de traitement proportionnelle", explique sa présidente Florence Caeymaex. "Le principe juridique d'égalité n'empêche pas que des situations distinctes soient traitées de manière différente. Les autorités peuvent, dans cette période transitoire, adopter pour les personnes vaccinées des mesures différentes entre le contexte public et les contextes privés."Mais la philosophe de l'ULG met en garde: "Les mesures différenciées soulèvent des enjeux éthiques majeurs liés aux divisions sociales et à l'utilisation de données individuelles de santé". Et les membres du comité tiennent à préciser: "Cet avis reflète les conclusions actuelles d'une réflexion éthique qui se poursuit au sein du Comité dans le cadre de l'évolution très dynamique de la situation pandémique. Le Comité se réserve, dès lors, la possibilité de revenir sur la question".Le Comité émet également des recommandations: "Le contexte de transition exige un réajustement transitoire et proportionné des contraintes sanitaires. Les citoyens doivent pouvoir percevoir clairement le bénéfice collectif de la stratégie vaccinale. Le fait que le statut vaccinal soit le résultat des circonstances ou, au contraire, d'un choix personnel doit être pris en considération". Très concrètement, pour les experts du comité, "les personnes vaccinées peuvent se rencontrer, en priorité dans la sphère privée, sans devoir respecter davantage de règles supplémentaires. Du point de vue humain, il faut aussi envisager dans quelle mesure les personnes vaccinées peuvent avoir plus de contacts avec leur famille et leurs amis, éventuellement non vaccinés. Les autorités doivent examiner dans quelle mesure les personnes vaccinées peuvent être exemptées des mesures de dépistage et de quarantaine par exemple lors des voyages et d'un contact à haut risque. Dans les collectivités, dès lors que la vaccination couvre une proportion suffisante de résidents et de personnel, des mesures d'assouplissement supplémentaires peuvent être prises pour les réunions ou contacts n'impliquant que les personnes faisant parties de la collectivité concernée".Les experts estiment par contre que pour les rencontres avec les visiteurs, les règles sanitaires devront être assouplies de la même manière que dans la société en général. Si le choix est fait de permettre l'accès à certains services ou activités au moyen d'un "pass corona", il est impératif que la loi définisse, dans leurs éléments essentiels ; les méthodes, les conditions et la durée de cette mise en place ; d'user de moyens qui évitent toute discrimination. Pour y arriver, il faut prendre en compte également les résultats de tests négatifs et rendre les tests disponibles gratuits. Il faut également développer une méthode sécurisée contre les tentatives de fraude et qui respecte confidentialité des données à caractère personnel sensibles. Enfin, il faut communiquer clairement à propos de l'objectif légitime de la méthode, à savoir la restauration progressive d'un certain niveau de bien-être collectif tout en assurant la sécurité de la société, la protection des groupes vulnérables et la préservation du fonctionnement des hôpitaux. Florence Caeymaex insiste: "Le caractère temporaire de ces mesures transitoires est clair. Elles n'ont pas pour fonction de rendre, par des voies détournées, la vaccination obligatoire. Les autorités devront veiller à ce que les modalités du "pass corona" soient accessibles à l'ensemble des publics y compris ceux qui sont précarisés ou victimes de la 'fracture numérique'". Le Comité considère par ailleurs que le"pass corona" doit prioritairement s'appliquer aux voyages internationaux et aux événements impliquant des rassemblements collectifs importants et planifiés, où existent déjà des systèmes rigoureux de contrôle d'accès mais où le respect des mesures sanitaires ne peut pas toujours être garanti. Le Comité demande la plus grande prudence et un large débat s'il était envisagé d'utiliser le "pass corona" dans la vie quotidienne des citoyens. En tout état de cause le Comité estime que l'utilisation d'un "pass corona" pour l'accès aux commerces d'alimentation, aux établissements d'enseignement obligatoire et aux hôpitaux pour les patients n'est pas acceptable. Dans ces cas-là, les autres mesures sanitaires doivent garantir la protection des usagers.