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Une ville qui a vu Pasolini puis Mel Gibson tourner une Passion, la topographie de la ville troglodyte ressemblant au Jérusalem d'il y a deux mille ans. Dans sa version, Milo Rau a décidé de s'emparer d'un sujet actuel: le sort des travailleurs illégaux africains, employés dans l'agriculture locale, et qui ne disposent ni de papiers ni de logements. Prenant pour personnage du Christ, Yvan Sagnet activiste luttant pour la reconnaissance et le droit à la dignité de ces travailleurs esclaves, le diplômé en sociologie, élève de Bourdieu notamment, raconte l'histoire tragique du Messie, et celle qui l'est souvent tout autant de la lutte pour les droits de ces migrants africains. En parallèle de la passion de ce Christ noir, se joue celle réelle de la lutte politique, le réalisateur redonnant vigueur dans cette transposition au côté agitateur et leader politique du Messie. Intégrant bien entendu des illégaux africains qui forment les disciples de ce Jésus d'ébène, Rau fait également participer des habitants de Matera à cette transposition: laquelle est filmée en parallèle du combat politique et, dans une mise en abîme vertigineuse digne de La nuit américaine de Truffaut, le film en révèle également les préparatifs, le casting voire les prises ratées. Le résultat, étonnamment fluide, est fascinant - ce projet lui-même rendant une dignité, une identité à ces illégaux, mêlant à la fois le documentaire et la fiction, l'un des intervenants parle de docu-film, mélangeant acteurs chevronnés (le Jésus de Pasolini intervient, comme la mère du Christ dans la Passion de Gibson) et amateurs, tous convaincants, tous animés par le même sentiment qu'Yvan Sagnet, Jésus forcément charismatique: celui de la passion.