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Journal du Médecin: Etes-vous satisfaits du budget que vous avez obtenu lors des négociations du conclave budgétaire pour les soins de santé?Frank Vanden broucke: Les décisions prises lors du conclave budgétaire permettent véritablement d'approfondir ce que nous avons lancé en mars 2021: la vision de la trajectoire pluriannuelle pour le budget des soins de santé, présenté dans un rapport intermédiaire de l'Inami. Lors du conclave budgétaire, il a été convenu qu'à l'intérieur du budget Inami, mais à l'extérieur du budget des soins de santé proprement dit, nous opérerions des corrections techniques à hauteur de 70 millions d'euros. En outre, pour ce qui est du budget des soins en lui-même, nous savons bien que si nous lançons toutes les nouvelles initiatives, elles ne se concrétiseront pas en même temps. Le gouvernement s'attend donc l'an prochain à une certaine sous-utilisation des budgets prévus dans les soins de santé, mais aucune économie n'est planifiée dans ce secteur. Bien au contraire, nous prévoyons des investissements supplémentaires. Vous visez, par exemple, le projet de dossier patient intégré? En effet, nous avons bien entendu la demande des différents acteurs pour investir en dehors du budget des soins de santé dans le dossier patient intégré. Des budgets importants sont prévus. Le gouvernement a annoncé ce lundi lors du Conseil général de l'Inami que 29 millions d'euros sont disponibles dans le cadre du mécanisme de "facilité pour la reprise et la résilience" (RFF) pour investir dans le dossier patient partagé. En outre, j'ai obtenu 64 millions d'euros pour des investissements en cybersécurité. C'est une réponse aux incidents alarmants qui sont survenus dans plusieurs hôpitaux belges. 22 millions pourront encore être investis en plus dans les prochaines années dans des politiques liées à la digitalisation et à la qualité des soins. En tout, cela représente une somme assez considérable de 115 millions d'euros. Ce "dossier patient intégré" ne sera pas vraiment un dossier mais plutôt une plateforme électronique et interprofessionnelle. Est-ce qu'elle fonctionnera avec le DMG? Je ne suis pas un technologue, je ne vais donc pas expliquer les aspects techniques, mais l'objectif est bien de mettre sur pied une plateforme. Les budgets dégagés (lire plus haut) vont servir entre autres à protéger les données qui seront transmises, dont certaines qui se trouvent dans le DMG. Le Pr Jan De Maeseneer plaide pour rendre le DMG obligatoire parce que les chiffres de la vaccination révèlent que le taux de vaccination est plus élevé chez les patients qui ont un DMG auprès d'un médecin. Le Pr De Maeseneer a raison, mais, en général, je suis toujours réticent par rapport à l'obligation. Le succès de la campagne de vaccination en Belgique n'est pas seulement quantitative, elle est aussi qualitative, du moins en Flandre et en Wallonie. C'est plus problématique à Bruxelles. Le résultat qualitatif est lié au fait que nous avons pu envoyer rapidement un nombre élevé d'invitations vers les patients qui avaient des comorbidités. Sans le DMG, cela aura été très difficile, quasi impossible. Dans notre pays, les organismes assureurs ont également pu transmettre rapidement aux autorités les coordonnées des patients concernés. Heureusement que nous avions le DMG et les mutualités. En médecine générale, nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Je ne suis toutefois pas certain que la prochaine étape doit être l'obligation de l'utilisation du DMG. Il y a eu transformation très positive ces 25 dernières années en médecine générale au niveau de l'organisation de la pratique et du financement de l'activité. 20% du financement n'est plus lié à l'acte mais relève du financement et du soutien de la pratique. C'est crucial. Il y a un monde de différence par rapport à l'époque où j'étais en charge des Affaires sociales, en 1999. Il faut encore renforcer le financement de la pratique et augmenter l'importance du DMG. Il faut le faire en concertation avec les généralistes. Dans le budget 2022, 123,6 millions sont dégagés pour les "soins appropriés", dont 50 millions réservés pour 2023. N'est-ce pas un montant peu élevé par rapport à la volonté gouvernementale de promouvoir les "objectifs de santé"? Cette interrogation est légitime. Le budget 2022 est encore un budget de transition vers une nouvelle approche budgétaire qui devra, à terme, partir entièrement d'objectifs de soins de santé. Je suis ravi du travail qui a été réalisé par l'Inami au cours des derniers mois, en collaboration avec les différents acteurs, pour préparer cette nouvelle vision, mais nous n'y sommes pas encore tout à fait. J'ai demandé un rapport définitif pour clarifier totalement la vision à moyen terme. Un budget croissant doit aussi être un budget innovant. J'attends ce rapport final avant Noël. Par ailleurs, 123 millions c'est la marge budgétaire, mais rien n'empêche qu'au sein des secteurs on réalise des exercices au niveau des soins appropriés qui créent encore plus de marge au sein de chaque secteur. L'Inami a préparé un nombre impressionnant de fiches et d'idées. Elles peuvent servir d'inspiration pour plusieurs exercices budgétaires. Pour ma part, je trouve que les priorités de soins défendues par le Comité de l'assurance sont bonnes et je les soutiens. Il s'agit par exemple d'investissements dans les trajets de soins intégrés pour les enfants obèses, pour les patients diabétiques, pour les soins périnatals pour les femmes vulnérables, en psychiatrie, en kinésithérapie... La volonté d'investir 50 millions rapidement dans les soins bucco-dentaires me semble très pertinente tant aux niveaux de la santé publique, du social que de la durabilité de notre système de concertation. Cet ensemble de mesures permettra de faire s'inverser le déconventionnement chez les dentistes. La réintégration des malades de longue durée a également fait l'objet d'un débat approfondi lors du conclave budgétaire. Pouvez-vous expliquer ce qui va changer? C'est un défi considérable parce qu'il implique un changement culturel dans le chef de tous les acteurs: employeurs, mutuelles, gouvernements régionaux, patients concernés et médecins. Lorsqu'un médecin signe une attestation de capacité de travail cela doit être le début d'un trajet et non la fin. Un trajet durant lequel on cherche, dans la mesure du possible, à côté de la guérison ou du traitement des perspectives pour une réintégration dans le monde du travail, adaptée au patient. C'est un "culture shift" pour les médecins au niveau du rôle qu'ils doivent jouer. Evidemment les médecins ne peuvent pas seuls solutionner les problèmes. Notre idée est de demander aux patients eux-mêmes de fournir des informations complémentaires qui peuvent compléter un dossier médical. Ces informations vont enrichir leur dossier et permettre de distinguer les patients pour lesquels il n'y a aucune perspective de retour au travail, ceux qui pourraient après un certain temps reprendre leur travail, après adaptation, et ceux pour qui il y a une perspective immédiate de réintégration. Tout ce processus ne sera évidemment pas organisé seulement par les médecins traitants, au contraire. Mais c'est un fameux changement de perspective pour tous les intéressés. Nous avons également décidé de supprimer l'obligation de présenter une attestation de maladie pour le premier jour d'absence, au maximum de trois fois par an. Une exception est faite pour les PME, qui pourront continuer à demander une attestation dès le premier jour. Le débat a été intense au sein du gouvernement. L'exemple à l'étranger a montré que le certificat pour un jour de maladie n'est pas productif parce que, par prudence, le médecin va souvent donner quelques jours ou une semaine de congés de maladie au patient même s'il est capable de recommencer à travailler après deux jours. Par ailleurs, le certificat d'un jour génère de la paperasserie pour le médecin. Nous préférons que les médecins puissent dégager du temps pour faire autre chose, entre autres participer à la recherche de solutions pour le retour au travail. Du point de vue médical, la distinction faite entre les PME et les grandes entreprises n'a pas beaucoup de sens. En effet, c'est absolument vrai, mais c'est le résultat d'une concertation au sein du gouvernement. Lors des discussions, certains de mes collègues voulaient être très prudents. Nous avons donc conservé la possibilité de demander une attestation de maladie d'un jour dans les PME. Nous voulons responsabiliser fortement les mutualités. Elles obtiendront quarante coordinateurs à leur disposition qui devront aider rapidement les personnes qui ont encore une chance de retourner au travail et leur montrer le chemin dans les différentes aides. Une petite partie des indemnités pour les frais administratifs des organismes assureurs - plus ou moins 20 millions d'euros - dépendra de la manière dont ils réalisent ce processus. Nous allons évidemment responsabiliser aussi les entreprises. Elles ont un rôle crucial. Nous allons développer des indicateurs pour vérifier combien de travailleurs quittent l'entreprise et y reviennent en maladie de longue durée. Enfin, l'activation des malades de longue durée demande une étroite concertation avec les Régions. Tout cela va donc encore demander beaucoup de travail pour concrétiser ces mesures.