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Quand quelqu'un d'aussi célèbre qu'Elon Musk, fondateur du constructeur automobile Tesla, annonce qu'il va acheter des bitcoins et que son groupe passe ensuite à l'acte à hauteur de 1,5 milliard de dollars, cela fait les grands titres. Et cela crédibilise cette cryptomonnaie aux yeux d'un nombre accru d'investisseurs ou spéculateurs, même si on sait le patron de Tesla plutôt fantasque. Parce qu'à l'issue d'une année durant laquelle Tesla a confirmé sa situation bénéficiaire et alors que le cours de l'action venait d'être multiplié par dix en un peu plus d'un an, le personnage était devenu franchement crédible. De toute façon, les faits sont là: en deux jours, le bitcoin a gagné 20%! Et ce cher Elon encaissé une jolie plus-value... ... sauf qu'il a très vite soufflé le froid, se demandant sur Twitter si cette crypto-devise n'était pas surévaluée. Et ce qui devait arriver arriva. Après un sommet à plus de 58.000 dollars le 21 février, le bitcoin avait perdu 14% deux jours plus tard. Elon Musk est décidément resté fantasque... Cela étant, il semble que cette chute fut surtout due à des ventes massives venant d'Asie. Sans doute des prises de bénéfice, comme on dit. Normal: le cours avait presque triplé en deux mois. On s'en voudrait de passer sous silence que le génial inventeur de la Tesla n'a pas seulement investi dans le bitcoin ; il a aussi annoncé que ce dernier pourrait servir au paiement de ses voitures électriques. Voilà qui est de nature à renforcer la confiance dans la crypto-monnaie, plus que d'autres déclarations pourtant spectaculaires. Car quand la plateforme de paiement Paypal ou le réseau Mastercard déclarent accepter les transactions en bitcoin, force est de reconnaître qu'ils ne prennent guère de risque: ce n'est tout simplement pas leur argent qui est concerné! Accepter cette monnaie virtuelle en paiement, c'est fort différent. Même si on le convertit instantanément en dollar ou euro. Plusieurs autres entreprises se sont acoquinées avec le bitcoin, dont deux grands noms de la finance. Le mois dernier, BNY Mellon annonçait la création d'un petit département dédié aux cryptomonnaies. Résultat de la fusion entre Mellon et la Bank of New York, cette institution n'est pas la première venue! C'est encore moins le cas de BlackRock, qui avait signé une démarche analogue en janvier. Ce groupe est rien moins que le premier gestionnaire d'actifs de la planète, avec quelque 8.000 milliards! Il a annoncé qu'il pourrait inclure des produits dérivés axés sur le bitcoin dans certains fonds. Ceci aussi diffère d'un simple rôle d'intermédiaire. Alors, le bitcoin est-il vraiment crédible aujourd'hui? Le principal reproche qu'on lui faisait naguère était son côté "privé". Autrement dit, qu'il échappait à tout contrôle des autorités telles que les États et les banques centrales, ou encore qu'il circulait totalement en marge des circuits bancaires. Reproche fondé... mais hors de propos. Car cette situation est tout simplement la raison d'être des cryptomonnaies! Leurs créateurs et premiers utilisateurs appartenaient aux milieux libertariens, pour lesquels les libertés individuelles passent avant tout et qui rejettent les pouvoirs publics autant que faire se peut. Ces monnaies virtuelles se veulent donc clairement disruptives. Une qualité avancée est que les paiements s'inscrivent dans la technologie de la blockchain, réputée infalsifiable. La réputation du bitcoin reste toutefois entachée par son usage intensif dans les milieux mafieux en général et par les cybercriminels en particulier. Il est bien connu que c'est dans cette cryptomonnaie que se font le plus souvent les demandes de rançon par les hackers ayant piraté un réseau informatique. C'est d'ailleurs dans une affaire de cybercriminalité que la justice française a saisi 611 bitcoins, qui feront l'objet d'une enchère judiciaire la semaine prochaine, une grande première! Sauf effondrement soudain du cours, l'État pourrait récupérer quelque 25 millions d'euros. Au-delà de cette anecdote, le côté sombre du bitcoin pourrait lui porter préjudice dans la mesure où c'est en "saisissant ce prétexte", diraient leurs partisans, que les autorités pourraient vouloir réglementer le marché des monnaies virtuelles et ses intervenants. Ancienne gouverneur de la banque centrale américaine et aujourd'hui ministre des Finances, Janet Yellen a déjà fait des déclarations en ce sens. Et l'Europe planche sur le sujet. Vu de l'extérieur (et même de l'intérieur?), le bitcoin est avant tout une pseudo-devise très opaque. On le produit (on le mine) au moyen de puissants moyens informatiques dont la compréhension échappe évidemment au commun des mortels. Et qui consomment une énergie folle! Son code informatique limitera sa production à 21 millions d'unités, affirme-t-on, soit guère plus que les 18,6 millions qui existent déjà. C'est dire que sa rareté ne fera qu'augmenter, si la demande se maintient, et donc sa valeur exprimée en dollar ou euro. Voilà en tout cas pour la théorie, telle qu'exposée par ses partisans. Un bel instrument de spéculation, vu sous cet angle. Mais peut-on qualifier d'investissement un produit dont le cours peut exploser ou s'effondrer sans qu'aucune explication fondamentale ne soit possible? Cette opacité est renforcée par des observations pratiques. Les plates-formes d'échange sont largement aux mains de groupes chinois. Sont-ils fiables? Les commissions sont parfois extravagantes. Par ailleurs, si une foule de particuliers détiennent quelques bitcoins, la majorité d'entre eux sont détenus par un nombre très restreint d'investisseurs (ou spéculateurs). À en croire un récent article du journal britannique Telegraph, 40% se trouveraient inscrits sur quelque 2.500 comptes à peine, tandis que 13% du total seraient détenus par une bonne centaine de comptes seulement. Ces acteurs géants sont donc parfaitement capables de manipuler le marché. Il est sans doute impossible d'émettre un jugement péremptoire sur le bitcoin, tant son univers échappe aux repères classiques. A défaut, dans le chef d'un investisseur, on pourrait s'en référer à Warren Buffett, le patron du groupe Berkshire Hathaway, réputé le meilleur investisseur du monde, dont un des credos était: "Si je ne comprends pas, je n'achète pas!". On peut évidemment adhérer sans vraiment comprendre, mais il ne s'agit plus alors d'investissement. On se situe sur le terrain de la religion et cela s'appelle la foi...