Docteur en médecine et en épidémiologie clinique, Jean David Zeitoun analyse, dans son dernier livre, les causes de la violence sur base de données scientifiques.
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La théorie développée dans "Les causes de la violence" démontre que la violence est systématiquement minoritaire dans les sociétés humaines, qu'elle est le produit d'une série de circonstances, écartant au passage les théories sur la soi-disant nature agressive de l'espèce humaine ou sur une génétique de la violence.Le journal du Médecin: Peut-on affirmer que l'homme est naturellement violent? Jean-David Zeitoun: Non, il s'agit d'une vision erronée de la réalité: quatre arguments semblent démontrer au contraire que la nature humaine, si tant est que ce terme ait un sens, est plutôt non violente. Le premier est archéologique, qui consiste à observer que même dans les époques qui ont été plus violentes que les nôtres, la violence a toujours été minoritaire dans les sociétés humaines. Deuxièmement, comparant notre comportement avec celui des primates qui sont nos cousins les plus proches, on observe que ces derniers sont majoritairement non violents. Troisième élément, la science de l'évolution ne nous dit pas que nous avons été faits pour la violence. Au contraire, elle suggère davantage que la complicité est beaucoup plus utile sur le plan évolutif que l'adversité. Enfin, la sociologie montre que nous ne sommes pas doués pour la violence, que lorsque nous la pratiquons, nous la pratiquons mal. La violence ne serait pas génétique?Les études de génétique comportementale qui prétendent avoir trouvé un gène ou une combinaison génétique de la violence ne sont pas très convaincantes. Par contre, Freud affirme qu'il y a une tendance innée à l'agressivité chez l'homme...C'est l'une de ses erreurs, mais qui n'enlève rien à son génie. Il n'a pas tort quand il évoque l'hypothèse de pulsions agressives dans l'espèce humaine. Mais la violence reste une option minoritaire. Les causes de la violence augmentent à la fois l'homicide et le suicide?La plupart des causes de la violence sont diffuses. Parmi celles-ci, on trouve les expériences négatives de l'enfance - les traumatismes infantiles, la maltraitance dans l'enfance -, l'alcool ou les pics de température. Ce sont des causes avérées de violence, qui augmentent la probabilité de commettre une tentative d'homicide ou de se suicider.Vous évoquez l'expérience négative de l'enfance qui semble importante dans l'explication du déclenchement de la violence. Mais l'expérience négative de l'adulte n'est pas à sous-estimer?En effet. Même si l'adulte est probablement un être humain moins vulnérable, une corrélation a été établie entre certaines des expériences négatives de l'existence et la probabilité des violences. Les sociétés, plus inégalitaires, sont souvent plus violentes. L'humiliation ou l'intimidation sont également des causes de passage à l'acte violent: des causes qui sont très puissantes chez l'enfant, mais qui sont aussi présentes chez l'adulte.Parmi les causes, vous évoquiez les pics de chaleur. Le changement climatique va-t-il être la cause de plus de violence?Nous l'ignorons. Par contre, les pics de température ont été associés, y compris à des époques passées, au 19e siècle notamment, avec des poussées de violence populaire, soit des émeutes, soit une augmentation des homicides. Et cela a été confirmé aux deux siècles suivants. Donc, un des risques supplémentaires du changement climatique est de devoir mesurer, lors de canicules, une augmentation d'homicides ou de suicides comme précédemment... Parmi les autres causes physiques, vous évoquez le plomb...La pollution au plomb est un phénomène avéré après la Deuxième Guerre mondiale. L'environnement des pays occidentaux s'alourdit en plomb à cause des peintures et des carburants. L'intoxication au plomb augmente et produit des effets, non seulement sur la santé, mais également sur les comportements. Ce qui a provoqué une augmentation de la criminalité violente avec 20 ans de décalage: si un nourrisson est intoxiqué au plomb dans les années 1950, vingt ans lui seront nécessaires avant de manifester les effets de son intoxication. Grâce aux lois dans les années 1970 qui ont réduit le taux de plomb dans l'environnement, la criminalité violente a baissé de ce point de vue, alors même que d'autres facteurs criminogènes étaient plutôt en hausse, comme le chômage ou les divorces. Aujourd'hui, si, dans les pays occidentaux, l'environnement est beaucoup moins plombé, il existe d'autres polluants du cerveau dont les effets sur la violence ne sont pas très connus, mais pas improbables... N'y aurait-il quand même chez l'être humain un besoin de défouler sa violence potentielle par le jeu ou le sport, par exemple? C'est ce qu'avait décrit Norbert Elias, le sociologue et théoricien de la thèse de la violence le plus convaincant. Elias avait expliqué l'importance de la violence au Moyen Âge, et les contreparties psychologiques que les humains ont développées suite à la baisse progressive de la violence dans la société. Il a notamment étudié le rôle du sport en prétendant, plutôt à juste titre, qu'il avait été une sorte de relais afin d'exercer une forme d'agressivité sans que ce soit une agressivité socialement problématique, le sport se révélant plutôt au contraire un facteur de socialisation. Par ailleurs, toutes les images violentes à disposition dans notre société influent-elles, notamment, sur les jeunes esprits?C'est possible, mais très difficile à prouver sur le plan statistique. On observe également le phénomène inverse, suggéré par certaines études, qui est qu'en exerçant virtuellement l'agressivité que l'on peut avoir en nous, soit en regardant des contenus, soit même en se défoulant sur les réseaux sociaux - ce qui par ailleurs n'est pas très sain -, peut permettre de se délester de son agressivité et d'éviter de passer à l'acte. Mais nous ne sommes pas fondamentalement courageux quand il s'agit de se comporter violemment. Tant mieux si cela nous protège, car sinon nous passerions notre temps, au moindre désaccord, à nous battre entre nous et la situation serait largement pire. Reste la question de la contagion de la violence...Elle se produit par plusieurs mécanismes. Certains sont très directs, une sorte d'effet automatique ; je vois quelqu'un de violent, je suis violent... Une réaction plutôt exceptionnelle. En fait, la contagion de la violence est souvent un phénomène complexe : elle nécessite un rythme, un renforcement social important pour se produire. L'exemple de la Commune de Paris le prouve. En fait, la violence n'étant pas une tendance qui nous plaît intrinsèquement, un domaine dans lequel nous sommes doués, nous avons besoin d'être soutenus lorsque nous voulons imiter ou participer à un groupe violent, d'agir avec des personnes que nous connaissons, en qui nous avons confiance : seul, nous avons moins tendance à nous lancer dans une action violente. L'humain est incompétent au niveau de la violence...C'est ce qu'ont observé les sociologues qui ont travaillé sur des vidéos d'émeutes: les gestes sont maladroits, les gens ont peur, les actions ne sont pas très efficaces. Les experts de la guerre ne disent pas autre chose. Dans une guerre, la plupart des soldats tirent à côté de la cible, ont peur, cherchent à déserter. Bref, les données factuelles ne montrent pas que nous sommes des bêtes de violence. La violence n'est-elle pas une conséquence de l'évolution ? C'est une vision erronée de croire que l'évolution et la lutte pour la vie a tenté de sélectionner méticuleusement les êtres humains qui auraient été les plus compétents pour justement mater leur prochain. Les scientifiques de l'évolution pensent que la violence a toujours existé, mais de façon minoritaire, et que c'est une option qui n'est pas la première dans notre répertoire comportemental. Afin de diminuer l'irruption de la violence, il convient de traiter les causes? C'est ce qui me paraîtrait être à la fois la manière la plus intelligente, la plus efficace et la plus rentable.Le rôle de l'alcool et des drogues dans l'histoire de la violence n'est pas récent...Non, il s'agit probablement d'un rôle qui a toujours existé depuis que ces produits existent. Et donc effectivement, l'alcool est une machine à violence dans le cas des homicides, mais également des suicides ou des accidents. Au Moyen Âge, l'alcool joue un rôle très important et aujourd'hui encore, est impliqué dans beaucoup d'accidents et à des fins de suicide, d'homicides, parce que l'alcool est un désinhibiteur, entre autres causes, entre autres raisons. Et pas la drogue ?Bien sûr, mais la consommation d'alcool est plus répandue que la consommation de drogues.