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"N otre étude montre que la "surcharge" des soins intensifs, défini comme l'admission d'un patient dans un service ou le nombre de lits de soins intensifs occupés par des patients avec Covid-19 dépassent ceux attribués aux patients Covid-19, est associé à une mortalité plus élevée parmi les patients Covid-19 admis aux soins intensifs en Belgique." Ce sont les conclusions sans équivoque de l'étude acceptée pour publication dans le journal de référence Lancet Regional Health et réalisée par le Pr Fabio Silvio Taccone et ses collègues de la Société belge de soins intensifs (SIZ) et le "Belgian collaborative group on Covid-19 hospital surveillance" coordonné par Sciensano. Fabio Silvio Taccone, intensiviste à l'Hôpital universitaire Erasme (ULB) et premier auteur, explique que "durant la période de l'étude, un même patient, toutes autres variables étant constantes hospitalisé en SI en période de 'surcharge' avait une probabilité de décès en moyenne de 6% plus élevée". L'étude a été menée sur un total de 1.747 patients ayant séjourné aux soins intensifs dans les hôpitaux belges, entre mars et août 2020. Parmi ces patients, 632 (36.1%) sont décédés durant leur séjour à l'hôpital. "Notre étude a confirmé que l'âge avancé et la présence de comorbidités, telles que les maladies pulmonaires chroniques, les maladies rénales chroniques et l'immunodéficience chronique, augmentent effectivement le risque de décès. En outre, les patients nécessitant une ventilation invasive ou une oxygénation extracorporelle par membrane (ECMO) sont également plus à risque de décès."Mais elle prouve également que la capacité en lits intensifs adéquatement "staffés" a été dépassée par moments, entraînant une surmortalité significative, liée au système d'organisation des soins. Pour Taccone, "au plus fort de l'épidémie, notre système de soins a été confronté à un afflux sans précédent de patients nécessitant des soins intensifs à l'hôpital. Dans certains hôpitaux, le nombre de lits de soins intensifs reconnus en Belgique n'était pas suffisant pour accueillir le nombre total de patients Covid-19 et non Covid-19 nécessitant des soins intensifs". L'étude montre qu'afin de disposer d'un nombre suffisant de lits de soins intensifs et de ventilateurs, les hôpitaux ont souvent dû réduire le nombre de soins non liés au Covid-19, et d'autres services hospitaliers et des salles et blocs opératoires ont été convertis en nouveaux services de soins intensifs. Le plus grand défi était de pouvoir gérer cette capacité supplémentaire créée avec un personnel de soins suffisamment formé et expérimenté, en particulier pour l'administration des soins intensifs. "Six pour cent de surmortalité, cela n'a l'air de rien, mais sur un nombre de patients très important, cela représente des dizaines de décès que l'on aurait pu théoriquement éviter. Il faut donc prendre des mesures pour éviter cette surcharge dans le présent et le futur. Des règles imposent que, passé un certain niveau d'occupation des lits intensifs, on crée des capacités supplémentaires en stoppant une série d'activités de l'hôpital qualifiées de non-urgentes et qu'on convertisse des lits ainsi libérés en lits intensifs. Convertir, par exemple, une salle de réveil, ne pose pas d'énormes difficultés logistiques, les appareils sont les mêmes, mais c'est oublier le point essentiel du personnel. Le personnel soignant en soins intensifs est spécialement formé et expérimenté pour une tâche critique et souvent harassante. C'est une formation accessible à beaucoup de personnel dans les hôpitaux, mais qui demande beaucoup d'investissement personnel et surtout du temps. Il est donc impossible de décréter des lits supplémentaires sans constater une baisse de qualité. Les lits Covid-19 sont en fait des lits suraigus."Pour le Pr Pierre-François Laterre, chef du Service des soins intensifs des Cliniques universitaires St-Luc, l'important dans de telles études est surtout "les chiffres dont on ne dispose pas, en l'occurrence le nombre de personnes aptes à permettre de transformer un lit d'hôpital en lit super-intensif. Ces gens formés de manière adéquate sont rares. Ils ont accompli cinq années d'études supérieures, avec de nombreux stages sur le terrain, où ils développent une première expérience. Mais quand la situation sanitaire nous fait passer en phase 2b, décrétant 15% de lits en plus, elle ne crée pas 15% de personnel en plus. Dans les grands hôpitaux, il arrive que l'on puisse 'réquisitionner' quelques personnes qui ont la compétence mais sont occupés à d'autres fonctions, mais c'est rarement suffisant. Et dans des hôpitaux qui ont dix ou douze lits intensifs, c'est évidemment quasi impossible". Pour le spécialiste, on se laisse abuser par le fait que le chiffre de 2.000 patients en soins intensifs n'a pas été atteint: "C'est une moyenne qui cache que, notamment à Liège et dans le Hainaut, mais pas seulement, on a été en pénurie de lits. Trente patients ont été accueillis en Allemagne. C'est une pénurie qui n'est pas nécessairement nominale, mais causée parce que le personnel soignant, qui a d'ailleurs payé un lourd tribut à la maladie, vient à manquer parce qu'il est lui-même contaminé ou qu'il ne peut plus supporter les conditions de travail. Des lits intensifs avec ventilation invasive ou une oxygénation extracorporelle par membrane font partie des situations les plus complexes et difficiles, il faut notamment retourner le patient fréquemment, déployer une surveillance constante. A la limite, il est plus important de disposer d'un personnel infirmier expérimenté que de médecins pour garantir un niveau élevé des soins. Certes, il est vrai que la Belgique affiche le troisième taux d'offre de lits intensifs en Europe, derrière l'Allemagne et l'Autriche. Et que nous n'avons pas dépassé les 1.474 lits Covid sur 2.000 lits disponibles. Mais augmenter davantage le nombre de lits avec des personnes qui n'en ont pas l'habitude, c'est s'exposer à un risque de morbidité et de mortalité additionnel". Pour Pierre-François Laterre, la crise actuelle doit déboucher sur une réflexion sur le nombre adéquat de lits intensifs en tenant compte du personnel nécessaire. Elle doit aussi prendre en compte les périodes de l'année.