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La stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD) est une notion-parapluie qui recouvre tout un éventail d'anomalies histologiques, de la stéatose à la cirrhose en passant par la stéato-hépatite non alcoolique (NASH ou non-alcoholic steatohepatitis). On parlera de NASH lorsque l'accumulation de graisse dans le foie s'accompagne d'une inflammation et d'un gonflement des cellules hépatiques, avec ou sans fibrose. La NAFLD est la première cause d'atteinte hépatique. Le "foie gras" touche un adulte sur quatre dans la population générale et plus encore parmi les sujets obèses ou diabétiques. La prévalence de la NASH est par contre plus difficile à évaluer parce qu'elle nécessite la réalisation d'une biopsie hépatique, alors que la stéatose hépatique au sens strict peut être constatée par une simple échographie. On l'estime toutefois à 5% dans la population générale. Aux États-Unis, la NAFLD est aujourd'hui la seconde indication à une greffe hépatique par ordre de fréquence. À l'UZ Leuven, elle est actuellement à l'origine d'un peu moins de 10% des greffes, ce qui représente une nette augmentation par rapport à il y a 20 ans. Le risque d'évoluer vers la cirrhose, avec toutes les complications qui y sont associées, concerne surtout les patients qui présentent déjà une fibrose. La majorité des sujets qui souffrent d'une "simple" stéatose ne développeront pas de troubles hépatiques avancés. Il convient dès lors, en collaboration avec la première ligne, de dépister ceux qui présentent une fibrose ou une cirrhose. " Actuellement, nous voyons passer à notre consultation d'un côté des patients qui n'en ont pas vraiment besoin, de l'autre - et c'est plus problématique - des personnes qui arrivent ici beaucoup trop tard", commente le Pr Verbeek. " En présence d'une NAFLD, une cirrhose prend plusieurs dizaines d'années à se développer, ce qui nous offre une fenêtre pour dépister et traiter les sujets à risque en temps utile, avant le stade de la cirrhose." Les sociétés d'hépatologie belge et européenne ont tracé un cadre à cet effet, en formulant des directives pour le dépistage des patients NAFLD à risque. Le dépistage s'adresse aux individus présentant un risque accru de fibrose secondaire à une stéatose hépatique, à savoir principalement les personnes qui souffrent d'obésité ou de diabète de type 2. L'existence d'une fibrose peut être démontrée au moyen d'une biopsie du foie, mais il s'agit là d'un examen invasif, non réalisé de façon systématique en deuxième ligne. Une autre possibilité est d'avoir recours au Fibroscan, un système non invasif pouvant déterminer le degré de fibrose du foie en l'espace de quelques minutes... mais qui est malheureusement coûteux, sans compter que l'examen lui-même n'est pas remboursé pour le patient. Les scores reposant sur des paramètres simples tels que l'âge et les données de l'analyse sanguine se prêtent mieux à être utilisés en première ligne ; le NAFLD Fibrosis Score et le score FIB4 sont les mieux validés. Le second est aussi le plus facile d'emploi, en ce qu'il engage moins de variables (âge, ASAT, ALAT et plaquettes). Chez les patients obèses ou diabétiques de type 2, le calcul du score FIB-4 est donc recommandé, à l'instar de ce qu'on fait déjà aujourd'hui couramment pour les facteurs de risque cardiovasculaires et les complications y associées. Plusieurs laboratoires mentionnent d'ailleurs déjà automatiquement le score FIB-4 dans leurs rapports d'analyse. Si le score indique une possible fibrose, le renvoi à la deuxième ligne sera indiqué. S'il est normal, ce renvoi n'est par contre pas nécessaire et on pourra se borner à le recalculer après un à trois ans. Les tests hépatiques (ASAT et ALAT) peuvent livrer des résultats normaux même en cas de fibrose. Face à des valeurs élevées répétées, il conviendra toutefois d'exclure (en première ou en seconde ligne) d'autres maladies hépatiques susceptibles d'accompagner la NAFLD. Une bonne gestion du risque cardiovasculaire et des conseils d'hygiène de vie seront importants en présence aussi bien d'une stéatose non compliquée que d'une fibrose. Souvent, ceci reviendra à tenter d'obtenir une perte de poids. Des études ont en effet démontré qu'une diminution pondérale de 7 à 10% peut déjà suffire à améliorer la stéatose et même la fibrose. Lorsqu'un patient est référé à la deuxième ligne avec un score suggérant une fibrose ou des valeurs élevées persistantes aux tests hépatiques, on recherchera en premier lieu les éventuelles autres causes de troubles hépatiques, telles qu'une hépatite virale, une maladie auto-immune, etc. Ces problèmes seront traités si nécessaire. Le stade de la fibrose sera par ailleurs réévalué à l'aide du Fibroscan. Si le résultat est rassurant, le patient pourra être renvoyé à la première ligne, là encore avec des recommandations explicites pour l'adaptation du mode de vie et la gestion du risque cardiovasculaire. Si le Fibroscan révèle une fibrose ou cirrhose, une biopsie hépatique sera parfois indiquée. En cas de cirrhose, on s'attachera à dépister et à traiter d'éventuelles complications telles qu'une ascite, des varices oesophagiennes, une encéphalopathie hépatique, un cancer du foie, etc. Une greffe du foie sera même nécessaire chez une partie de ces patients. Des mesures d'adaptation du mode de vie restent la pierre angulaire du traitement, mais elles ne sont pas toujours efficaces et les patients ont souvent du mal à s'y tenir dans la durée. À ce stade, il n'existe pas de traitement pharmacologique spécifique pour la NAFLD ou la NASH. " Comme il s'agit de pathologies fréquentes, des dizaines d'études pharmacologiques spécifiquement axées sur des patients au stade de la fibrose voire de la cirrhose sont toutefois en cours à travers le monde, y compris à l'UZ Leuven", précise Jef Verbeek. " Nous examinons toujours avec nos patients s'il est envisageable de les inclure dans une étude. Plusieurs molécules se trouvent actuellement en phase 3, et nous espérons voir un produit approuvé arriver sur le marché d'ici quelques années. Le fait de disposer d'un traitement efficace contribuerait aussi à stimuler le dépistage de la fibrose associée à la NAFLD en première ligne et le renvoi à l'hépatologue, puisque les traitements actuellement en développement pourraient potentiellement stopper voire inverser sa progression." " Les généralistes sont toutefois déjà sollicités pour un très large éventail d'interventions", observe Jef Verbeek. " Nous ne pouvons pas leur demander d'assurer en plus le dépistage de la fibrose sans autre forme de procès, sans dialogue préalable et sans disposer d'un cadre de travail clair. Ma proposition serait d'élaborer en collaboration avec les médecins de famille un modèle de soins structuré ou un projet-pilote, dont il faudra en définitive aussi évaluer l'efficience, le bénéfice de santé et le rapport coût-efficacité. Des recherches ont déjà été réalisées à ce sujet, surtout au Royaume-Uni. J'ai moi-même travaillé un temps à Londres, où il existait un programme pour l'identification des patients NAFLD à risque en médecine générale et pour leur renvoi ciblé à la 2e ligne si nécessaire. Tous les acteurs impliqués en étaient satisfaits, aussi bien les médecins référents que leurs collègues de la seconde ligne et les patients, et le programme semblait présenter un rapport coût-efficacité favorable. Il est toutefois évident que les modèles testés jusqu'ici ne peuvent pas être implémentés tels quels dans notre pays. En tant qu'hépatologues, nous devons donc nous concerter avec les généralistes, les prestataires paramédicaux, les autorités et les associations de patients. Personnellement, je plaiderais dans ce cadre en faveur d'un dépistage hépatique ciblé basé sur un simple score de fibrose qui ne surchargerait ni le généraliste ni le patient et qui serait réalisé chez des sujets sélectionnés présentant un risque accru du fibrose due à une NAFLD, mais aussi chez des personnes avec une consommation d'alcool excessive. Le but serait de limiter les renvois inutiles à la 2e ligne tout en évitant que des patients qui devraient être référés ne passent entre les mailles du filet, de manière à abaisser en définitive la morbi-mortalité associée aux maladies hépatiques."