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Bogi Eliasen, c'est un peu un Koen Kas à la sauce danoise. C'est un homme qui sait captiver une audience grâce à sa vision de la santé du futur. "La santé est notre bien le plus précieux. Pour la conserver, il faut changer. La technologie est un outil, mais elle ne doit jamais devenir le but", annonce, en préambule, le natif des Îles Féroé. "Nous devons penser au-delà des systèmes de soins et s'orienter vers la santé planétaire. Nous devons nous attaquer à la problématique avec une vision holistique et nous demander quel est le rôle du secteur de l'aide et du soin."Comment construire un avenir durable en santé? "Il faut définir des objectifs. Nos systèmes de santé actuels sont en péril. Nous avons une charge croissante de patients malades, des systèmes orientés sur les maladies et non la santé. Il y a également le poids grandissant de la santé mentale, du burn out dans nos sociétés", analyse le directeur santé du CIFS. Le vieillissement de la population est l'une des causes mais, selon Bogi Eliasen, il y a surtout des maladies évitables. "Nos systèmes de santé ont été pensés pour prendre en charge des cas aigus et non des maladies chroniques. Or, aujourd'hui, 85% des patients sont des malades chroniques. Les hôpitaux, l'enseignement, le recrutement...Tout est pensé pour une prise en charge aiguë." La technologie sur laquelle d'aucuns misent n'est, pour l'heure, pas la panacée, notamment car l'adoption de ces nouvelles technologies est à la traîne. "Nous avons analysé le poids des maladies, et constaté que 30% des maladies chroniques étaient évitables si l'on appliquait la technologie au bon moment, au bon endroit. Actuellement, la science diagnostique est à la traîne." Nous sommes actuellement dans une transition entre la 4e révolution industrielle - basée sur la production des données, de nouvelles technologies, avec l'accent mis sur le volume - et la 5e révolution industrielle, qui vise davantage à créer de la valeur à partir des données. Les pays nordiques, regroupés au sein de la Nordic wellbeing Alliance, travaillent actuellement ensemble pour mettre cette révolution en oeuvre. "Ce que nous faisons actuellement est insuffisant. Mais nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord sur une solution."Pourtant, il avance une solution, qui n'est pas neuve: passer d'une prise en charge aiguë à une prise en charge préventive par bassin de soins. C'est ce que l'on appelle la prévention secondaire, qui recouvre les actes destinés à agir au tout début de l'apparition du trouble ou de la pathologie afin de s'opposer à son évolution, ou encore pour faire disparaître les facteurs de risque. Investir dans la prévention secondaire est salutaire, estime le Danois. "Cela permet d'avoir davantage d'équité, d'égalité sociale, d'avoir un système plus juste, de soutenir une croissance durable - moins de maladies permettent de réduire le nombre de médicaments, par exemple." En outre, davantage de forces vives est un atout pour l'économie. Investir dans la prévention passera par une meilleure utilisation des données. "Pour l'heure, je me demande bien pourquoi nous produisons des données. Seulement 3% des données sont utilisées. Et nous payons sans doute davantage pour le stockage de ces données que pour la prise en charge des maladies rares, par exemple. C'est absurde. Je ne dis pas que nous ne devrions pas produire des données, mais nous ne devrions pas en produire si nous n'en avons pas besoin. Il faut réfléchir à ce en quoi nous voulons investir. Il faut également réussir à monétiser la valeur, la prévention et les initiatives qui réduisent le poids des maladies.""Que voulons-nous? Disposer du meilleur système de soins au monde, ou avoir la population en meilleure santé du monde?", questionne, de manière rhétorique, Bogi Eliasen, avant de poser une seconde question: "Sur les dix derniers mois, combien de décisions avez-vous prises pour l'amélioration de la santé de population? Et combien pour l'amélioration du système? A priori, aucune de vos décisions n'a amélioré le bien-être de la population."Cette provocation pour appuyer la nécessité des pays européens d'enfin mettre sur un pied d'égalité les dépenses dévolues au curatif et au préventif. "Les pays nordiques travaillent, depuis 2019, à répartir le budget santé (10% du PIB) sur le curatif (5%) et le préventif (5%) de manière équitable." Un autre pan important est de mieux dépenser les deniers publics. "La majorité des hautes technologies déployées sont au bénéfice de patients en phase quasi terminale. Il faut changer cela."Pratiquement, les pays nordiques se focalisent actuellement sur le tueur silencieux qu'est la BPCO, 3e cause de mortalité dans le monde en 2012. "Il n'y a pas de plan pour s'attaquer à la BPCO. C'est une maladie évitable qui touche les pays en voie de développement, mais aussi les pays industrialisés. Au Danemark, cette maladie est une des plus coûteuses, car les patients pèsent sur la sécurité sociale pendant des années. Notre objectif a été de rassembler des données sur la maladie, et de mettre en place des moyens de prévention simples pour diminuer le poids de la maladie."Autre projet concret sur lequel les pays nordiques travaillent: SpaceV. "Il s'agit d'une nouvelle manière de penser les essais cliniques, de façon digitale et décentralisée. Tout ne démarre pas de l'hôpital, mais à la maison. Des données et fluctuations en temps réel sont très intéressantes à étudier pour les chercheurs, davantage que des données prises à un seul moment à l'hôpital. Ce dernier doit rester l'ossature de nos soins de santé, mais nous devons développer des activités qui ajoutent de la valeur à nos soins, en dehors des murs de l'hôpital."