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Le Dr Sam Schelfout est responsable du Centre multidisciplinaire de la douleur de l'UZ Gent et coordinateur de l'équipe d'algologie multidisciplinaire. Il nous expose quelques points importants pour une utilisation rationnelle des opioïdes. Les préparations de morphine ne seront pas prescrites en routine ou en première intention dans les douleurs chroniques (non cancéreuses). "Examinez chaque patient et chaque situation individuellement en pesant soigneusement les risques et les bénéfices. Chez les personnes âgées vulnérables qui présentent un risque de chute, les opioïdes sont par exemple à déconseiller", souligne le Dr Schelfout. "Il est également important de fixer des objectifs spécifiques, comme la reprise d'un hobby ou d'une activité physique plus importante. Le but du traitement antalgique ne peut jamais être de faire complètement disparaître la douleur. Si le patient nourrit des attentes démesurées ou est convaincu de devoir (lui-même) accroître le dosage jusqu'à ne plus rien sentir, cela donnera inévitablement des problèmes." Informez toujours les patients des risques et des effets secondaires des opioïdes et donnez-leur l'opportunité de décider avec vous s'ils seront en mesure de les gérer. Débutez le traitement à une dose la plus faible possible et pour une période la plus brève possible et commencez par des comprimés (à action rapide), puis réévaluez la situation. Si la douleur n'est pas suffisamment apaisée, vous pourrez accroître légèrement le dosage et, une fois celui-ci stabilisé, vous pourrez envisager le passage à un opioïde à longue durée d'action. "Dans les douleurs chroniques (non cancéreuses), la dose quotidienne maximale est de 50-90 mg d'équivalents morphine par voie orale. Au-delà de cette limite, vous n'obtiendrez pas un meilleur contrôle de la douleur, tout au plus un risque d'accru d'effets secondaires, d'hyperalgésie induite par les opioïdes et de dépendance", résume le Dr Schelfout. " Idéalement, il faudrait qu'il y ait un prescripteur unique - personnellement, je suis partisan d'un système où cette tâche est confiée au généraliste, qui connaît le mieux le patient et a une vue d'ensemble de sa situation. Il m'est déjà arrivé de me heurter au refus du médecin de famille lorsque je recommandais dans nos échanges un dérivé morphinique spécifique. C'est un signal clair et, dans ce cas de figure, je ne vais certainement pas me hasarder à prescrire ce produit moi-même", souligne le Dr Schelfout. "Nous examinerons alors d'autres pistes." Bien que l'Opioid Risk Tool puisse avoir son utilité pour évaluer le risque de dépendance, l'algologue estime qu'il a aussi ses limites. "Même si ce score indique que le patient est très sensible à la dépendance, on ne peut pas laisser les gens à la merci de leur douleur. Nous voyons que des alternatives comme la prégabaline ou la gabapentine peuvent tout aussi bien donner lieu à des problèmes d'addiction. En cas de risque accru, le tout sera donc de pouvoir en parler ouvertement et d'organiser un suivi rapproché - potentiellement même hebdomadaire dans un premier temps." Par ailleurs, combattre les abus et le "shopping médical" est loin d'être évident. "Les patients qui souffrent de douleurs chroniques présentent souvent aussi des comorbidités. En soi, rien ne les empêche d'aller demander une ordonnance à n'importe quel spécialiste, sans que celui-ci n'ait toujours la possibilité de voir ce qu'ont déjà prescrit les autres. Les pharmaciens peuvent suspecter un abus ou mésusage, mais sont souvent bien démunis dans la pratique. Notre meilleure chance, c'est donc de permettre au généraliste de conserver une vue d'ensemble de la situation", insiste le Dr Schelfout. Si le généraliste ne s'en sort pas, il pourra référer le patient à un centre spécialisé. S'il est question d'une douleur neuropathique, mieux vaut d'ailleurs ne pas attendre trop longtemps. " Si ce genre de problème se prolonge, il peut déboucher sur une sensibilisation centrale et compliquer le traitement", souligne l'algologue. Un vrai problème de dépendance nécessitera une aide psychiatrique. "Y a-t-il des alternatives?" est une question que le médecin devrait toujours se poser. "Il faut oser regarder plus loin que les traitements oraux ou injectés", souligne Sam Schelfout. "La psychothérapie, la kinésithérapie et les adaptations du mode de vie auront parfois plus d'effet que les options purement pharmacologiques, mais c'est surtout la combinaison des deux approches qui peut être très efficace." Enfin, la douleur chronique est souvent un processus de deuil. Bien des patients se trouvent pris dans une spirale négative parce qu'ils perdent leurs contacts sociaux, s'ennuient du travail ou voient diminuer leur niveau d'activité physique. "Le tout sera d'éviter ce 36e dessous et d'initier un mouvement en sens inverse", explique le Dr Schelfout. "Dans notre centre, nous avons obtenu de très bons résultats avec la thérapie d'acceptation et d'engagement. En examinant avec les patients de quoi ils sont encore capables, nous déplaçons l'accent sur leurs possibilités et nous leur redonnons confiance."