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La peur, voilà bien un sentiment qui nous habite tous, à des degrés divers, et de manière nettement plus exacerbée en période de pandémie. En " temps normal ", c'est aussi un sentiment avec lequel l'être humain aime jouer. Peur et plaisir sont intimement liés. Nombre d'individus sont en effet friands de frissons, d'excitations et de montées d'adrénaline, provoqués par les montagnes russes, un saut en parachute, les situations effrayantes ou dangereuses ou encore les films d'horreur. Les films d'horreur sont précisément au coeur d'une recherche menée par des chercheurs de l'Université de Turku en Finlande. Désireux de comprendre comment ces films et la peur qui les accompagne manipulent l'activité cérébrale et quels sont les différents mécanismes neuronaux qui entrent en jeu lorsque l'on éprouve un sentiment de peur, ils ont cartographié la réponse du cerveau humain chez des personnes regardant ce type de films. Les auteurs sont partis du constat que la peur protège les organismes d'une part en augmentant la vigilance et en anticipant une réponse éventuelle à une menace potentielle rampante, quand on sent que quelque chose ne va pas, et d'autre part en coordonnant des réponses rapides de protection lors de rencontres mettant la vie en danger, par exemple l'apparition soudaine d'un monstre, le fameux " jumpscare " (saut de peur), procédé cinématographique courant dans les films d'horreur. Ils en ont déduit que les processus cognitifs sous-tendant la peur doivent fonctionner sur plusieurs échelles de temps allant de la vigilance préparatoire soutenue aux réponses aiguës de combat ou de fuite. Les chercheurs ont sollicité 37 valeureux volontaires et les ont invités à visionner deux longs métrages d'horreur réalisés par James Wan - " Insidious " en 2010 et " The Conjuring 2 " en 2016 -, et sélectionnés parmi la liste des cent films d'horreur les mieux notés des 100 dernières années. Le visionnage s'est fait dans des conditions très particulières : individuellement, à l'étroit, avec des lunettes spéciales... à l'intérieur d'un appareil d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, l'objectif étant de mesurer l'activité cérébrale hémodynamique des participants et d'observer comment leur cerveau réagit à différents types de peur. " Leurs données ont révélé que les régions du cerveau impliquées dans la perception visuelle et auditive sont devenues plus actives lorsque la peur est soutenue, ce qui permet d'augmenter la vigilance aux signaux de menace dans l'environnement et le traitement des informations entrantes ", constate André Mouraux, professeur à l'Institut de neurosciences de l'UCLouvain, spécialiste de la douleur physiologique et pathologique chez l'humain. " Mais quand il s'agit d'une peur aiguë, on observe une augmentation de l'activité dans le tronc cérébral, le thalamus, l'amygdale et les régions cingulaires, des régions plus impliquées dans la réponse à un événement saillant. " " Leurs données suggèrent donc que ces deux types de peur sont soutenues par des réseaux neuronaux distincts, ce qui a également été observé dans des études sur le système nociceptif, qui est avant tout un système d'alerte ", poursuit André Mouraux. " Nous faisons aussi une distinction entre une douleur soudaine qui capte très fort l'attention et qui finalement implique le même réseau que celui qui est mis à contribution lors de la réaction à un événement inattendu et une douleur plus tonique, plus soutenue dans le temps, qui implique un réseau assez semblable à celui qui est sollicité lorsqu'il s'agit d'anticiper une menace potentielle. La peur et la douleur sont intrinsèquement liées et ont probablement une même finalité biologique, nous protéger. " " Autre constat : ces réseaux interagiraient tout au long du visionnage d'un film d'horreur, comme si les régions sensorielles impliquées dans l'anticipation, faculté exploitée de manière experte par les films d'horreur pour augmenter l'excitation du spectateur, préparaient le déclenchement de celles impliquées dans la réponse à un événement effrayant qui devient de plus en plus probable. Les unes engageraient les autres. Les auteurs ont le mérite d'essayer d'évaluer le niveau d'interconnectivité entre les régions et d'accorder de l'importance à leurs interactions dynamiques. On considère de plus en plus que les fonctions cognitives émergent de telles interactions. " " Bien sûr à ce stade-ci, il s'agit d'une étude encore très fondamentale, " ajoute le Pr Mouraux. " Mais il est possible que l'on puisse généraliser au-delà du contexte de visionnage d'un film. Le fait d'avoir une meilleure connaissance des régions impliquées en lien avec la peur et de leurs interactions pourrait présenter un intérêt dans le domaine de la psychopathologie, la dépression par exemple, dans la mesure où les mêmes réseaux pourraient être concernés. " Enfin pour en revenir à la peur dans le contexte actuel du coronavirus, le neuroscientifique de l'UC Louvain l'associe à la peur soutenue, quand on est exposé à une menace dans la durée, celle qui va mettre en branle tout un système d'alerte. " Il faut toutefois rester prudent car dans l'expérience finlandaise, le cerveau n'est pas dupe. Les sujets sont conscients qu'ils regardent un film, que c'est de l'imaginaire. Ils ressentent des émotions mais savent qu'ils ne se mettent pas vraiment en danger, qu'ils peuvent quitter à tout moment si cela devient insupportable, et que, de toute manière, il va y avoir une fin. Avec le coronavirus, il s'agit d'une situation réelle, complexe et en constante évolution. Nous ne sommes plus dans un film... "