Les interventions périnatales sont les plus efficaces pour le développement cognitif et émotionnel de l'enfant. Ce sont aussi les plus rentables sur le long terme. La Pr Sylvana Côté (Canada) a donné quelques clés lors d'un webinaire organisé par le service de pédopsychiatrie de l'Huderf (Bruxelles).
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Qui pense prévention en pédopsychiatrie, pense d'abord à la périnatalité. Pour inaugurer ce cycle de séminaires le 10 février dernier, la Pr Sylvana Côté (École Santé publique, Université de Montréal, Canada) s'est penchée sur les actions à mener au début de la vie en prévention des problèmes d'inadaptation psychosociale et de santé mentale, notamment dans le contexte de la pandémie. Des arguments neuro développementaux et économiques permettent de répondre à cette question: " Le taux de neurogenèse est à son maximum au début de la vie et diminue de façon prononcée au cours de l'enfance, pour atteindre des niveaux indétectables à l'âge adulte. À partir de la naissance, l'environnement et l'apprentissage façonnent le cerveau mais sa capacité à changer en réponse à l'environnement diminue de façon drastique avec l'âge. C'est une des raisons pour intervenir à cette période", explique Sylvana Côté. Ceci illustre à quel point il est important de donner un environnement chaleureux aux enfants pour favoriser leur développement cognitif. Elle rappelle l'importance du système limbique, siège des émotions, chez le jeune enfant. " Il faut accueillir leurs émotions et les rassurer afin qu'ils développent les habiletés de gestion des émotions. Le cerveau reptilien fait réagir et le cerveau supérieur permet d'être raisonnable, chose impossible pour un enfant de cinq ans. Il faut donc susciter empathie et bienveillance dans nos pratiques éducatives." Par ailleurs, les interventions préventives pendant les cinq premières années de vie ont montré leur rentabilité. " Or, dans la majorité des sociétés industrialisées, les investissements publiques augmentent avec l'âge de l'enfant. James Heckman a observé que l'impact économique des investissements faits pour l'éducation des enfants est meilleur quand on investit en période prénatale: les compétences engendrent les compétences". Cependant, le retour sur investissement n'est pas égal pour tous: il est plus important pour les interventions faites en milieux défavorisés. La crise sanitaire est associée à une augmentation de l'anxiété et de la dépression au cours de la grossesse. Or, par le passé, plus de 300 études et 15 méta-analyses ont documenté les associations entre dépression périnatale et développement de l'enfant. Les interventions psychosociales de type "conseil" aux femmes enceintes à risque de dépression post-partum sont les plus efficaces. " Face aux problèmes d'accessibilité de ce type de service au Canada, on a imaginé un système pour offrir du soutien à moindre coût", précise la Pr Côté . Le programme 'Toi, Moi, Bébé' est un cours à distance visant à améliorer la santé mentale des futurs parents. Basé sur une stratégie cognitivo-comportementale, il invite à découvrir des activités agréables, à mieux communiquer avec son partenaire, à comprendre comment les pensées influencent l'humeur... "Les interventions limitées au soutien en ligne ont des effets mitigés parce qu'il faut beaucoup de motivation de la part des parents, surtout s'ils sont déprimés. Par contre, le soutien téléphonique augmente l'adhérence et possiblement l'efficacité du programme. Les mères en dépression ont des difficultés à prendre soin d'elles-mêmes, il faut donc agir en prénatal pour prévenir la tempête en postnatal", commente-t-elle. Chez l'enfant, le stress toxique est engendré lorsque l'adversité est forte, fréquente, prolongée (violence physique ou émotionnelle, difficultés économiques et familiales...), sans soutien adéquat d'un adulte. Ainsi, pendant la pandémie, les enfants qui ont le plus souffert sont ceux qui vivaient dans un milieu adverse. "Divers travaux montrent le rôle des services d'éducation préscolaire comme égalisateur des chances. Par exemple, les enfants des mères dépressives qui utilisent les services préscolaires ont moins de troubles émotifs. Ou encore, l'éducation préscolaire réduit le risque de troubles du comportement à court et long terme. Or, c'est le monde à l'envers: il y a moins de services d'éducation préscolaire dans les quartiers défavorisés au Québec", souligne-t-elle. Les interventions visant à améliorer les habiletés socio-émotionnelles des enfants entraînent une réduction du stress. C'est l'objectif du programme 'Brindami', mis en place à Montréal, qui aide par exemple les petits à reconnaître leurs émotions et à tolérer leurs frustrations. Sylvana Côté fait observer que, pendant la pandémie, les estimations relatives aux troubles anxieux/dépression chez les enfants ont augmenté au fil du temps. " Cependant, moins les études sont de bonne qualité, plus l'impact estimé des perturbations pandémiques sur le développement des enfants est important. Les études de bonne qualité donnent une augmentation estimée à 12%, celles de mauvaise qualité, à 22%!" " Les populations les plus à risque de séquelles à moyen et long terme sont les enfants qui grandissent dans des milieux défavorisés: on doit donc redoubler d'effort pour les soutenir", insiste-t-elle . "Les stratégies de prévention universelles et ciblées peuvent être mises en place pour atténuer les impacts de la pandémie et diminuer la pression sur le système de santé. D'où l'ode faite aux routines: "Des recherches ont montré une diminution des problèmes d'anxiété/dépression et de conduite chez les enfants dans les familles qui ont utilisé plus de routines pendant la pandémie. Elles sont particulièrement importantes si l'environnement est perturbé. Il faut mettre en oeuvre des routines cohérentes et prévisibles concernant le travail scolaire, le sommeil, l'utilisation des écrans et l'activité physique". Ici encore, ce sont les populations défavorisées qui tireront le plus d'avantages de l'adoption d'habitudes de vie saines.