Le livre de recettes "Nourrir son microbiote intestinal" met à l'honneur les légumes, les céréales et les fruits riches en prébiotiques. C'est un exemple concret de l'intégration des résultats de la recherche dans l'alimentation quotidienne.
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Soupe à l'oignon, poêlée d'asperges et coppa, gâteau au chocolat et framboises... Dans "Nourrir son microbiote intestinal", Audrey Neyrinck et Nathalie Delzenne (UCLouvain) donnent une cinquantaine de recettes qui expliquent comment accommoder les légumes, les céréales et les fruits riches en fibres alimentaires prébiotiques. Ces nutriments qui échappent à la digestion stimulent dans l'intestin la croissance de certaines bactéries et participent ainsi à l'équilibre du microbiote intestinal, au bénéfice de la santé. "Cet ouvrage grand public est un peu l'aboutissement d'un important projet de recherche, appelé Food4Gut. Ce programme d'excellence de la Région wallonne, terminé il y a près de trois ans, avait pour rôle de mettre en avant l'intérêt, sur la santé en général et sur le microbiote intestinal en particulier, des aliments d'origine végétale issus de l'agriculture wallonne (notion de durabilité) et caractérisés par leur richesse en nutriments coliques", explique sa promotrice, la Pr Nathalie Delzenne (Louvain Drug Research Institute, UCLouvain). L'originalité de ce projet tenait également à l'alliance d'experts scientifiques reconnus internationalement, issus des sciences humaines, biomédicales, technologiques et agronomiques, et travaillant à l'UCLouvain, l'ULB et l'ULiège. "On voulait ainsi essayer de favoriser les cultures d'aliments riches en fibres prébiotiques de type fructane, et de proposer une approche novatrice d'intervention nutritionnelle pour contrôler l'épidémie d'obésité et de désordres métaboliques associés.""C'est dans ce contexte qu'on a découvert que l'inuline (un type de fructane présent dans des légumes racines comme les topinambours, salsifis, ail, oignon...) module favorablement le microbiote intestinal", poursuit-elle. "Au cours de ce projet, on a établi des tables de composition alimentaire de ces légumes particulièrement riches en inuline (uniques en Europe) et on a mis sur pied des recettes, en collaboration avec des étudiantes en diététique de la Haute École Léonard de Vinci. Ces recettes nous ont par exemple permis de tester l'impact d'une alimentation riche en inuline chez des personnes obèses. Des études d'intervention ont été faites dans trois centres universitaires (Erasme, Saint-Luc et CHU de Liège)."Dans ces études d'intervention multicentriques, les chercheurs ont comparé l'impact d'un protocole incitant les patients obèses devant perdre du poids avant une chirurgie bariatrique à consommer pendant trois mois des légumes riches en inuline vs un groupe placebo qui recevait des recommandations nutritionnelles classiques. "Les résultats sont assez intéressants", précise la Pr Delzenne, "on change le microbiote de manière très spécifique, ce qui était plus ou moins attendu dans le groupe inuline. Si les effets sur le poids corporel sont extrêmement variables, on note en revanche une diminution de la pression diastolique et une amélioration de l'insuline à jeun endéans les trois mois d'intervention dans le groupe inuline".Les chercheurs se sont demandé pourquoi le microbiote de départ peut influencer le succès d'une telle intervention nutritionnelle: "On a pointé certaines bactéries, par exemple Akkermansia qui, présente au départ en grande quantité, va de pair avec une plus grande diminution du BMI dans le groupe traité."Par ailleurs, en combinant l'exercice physique à la prise d'inuline, l'amélioration métabolique est plus importante, notamment chez les patients atteints d'obésité. Enfin, le traitement médicamenteux influence également cette dynamique: la metformine a par exemple des effets de type inuline sur le microbiote intestinal. "Par conséquent, ne faudrait-il pas donner ces conseils nutritionnels pour influencer le microbiote très précocement dans un but de prévention ou de prise en charge très précoce des altérations métaboliques?", s'interroge-t-elle. "À l'issue du projet, on a pu mettre à disposition du grand public ce livre de recettes basées sur la science, parce qu'il n'y avait plus de risque de perturber notre protocole en double aveugle, placebo contrôlé."Pour chaque plat, l'apport nutritionnel, l'apport calorique, la teneur en allergènes et la difficulté (une à trois toques) sont indiqués. De même, la qualité nutritionnelle est exprimée sous forme du nutriscore, de l'épiscore (qui prend en compte les nouvelles recommandations alimentaires du Conseil supérieur de la santé) et, nouveauté, du "prébioscore". Ce dernier a été établi par les autrices pour faire état de la richesse des recettes en fibres prébiotiques. Il est représenté par un bulbe d'ail à cinq gousses colorées en mauve en fonction de la teneur en fructanes (fibres prébiotiques contenues dans certains légumes, fruits et céréales). Cette échelle à six niveaux représente les six intervalles établis sur base de quantiles calculés à partir de 112 recettes santé de nutriscore A ou B, balayant différentes teneurs en fructanes. À l'heure où l'on parle beaucoup de probiotiques, les autrices entendent donc attirer l'attention sur les prébiotiques: "Il est important de remettre l'alimentation au centre quand on veut essayer de manipuler le microbiote intestinal. Dans le livre, on fait cependant très attention parce que prendre des fibres prébiotiques peut engendrer des effets secondaires liés à la fermentation intestinale (flatulence, ballonnement, accélération du transit...), d'intensité variable en fonction du microbiote intestinal de départ. Si on ne consomme jamais ce type de fibres ou si on a régulièrement des problèmes intestinaux, il est conseillé de consommer progressivement ces recettes en se référant au prébioscore, en commençant par des recettes de maximum trois gousses colorées durant deux semaines (une recette/jour), avant d'augmenter la consommation. Il faut y aller doucement, apprendre à se connaître", souligne la Pr Delzenne. "Idéalement, il faut avoir une alimentation diversifiée, il n'y a pas d'obligation de manger des prébiotiques tous les jours. Nous voulons donner une dimension scientifique supplémentaire aux recommandations qui visent à augmenter la part végétale de son alimentation", insiste-t-elle. Les candidats prébiotiques sont nombreux, c'est pourquoi l'équipe de Nathalie Delzenne va essayer d'étendre ces bases de données à d'autres prébiotiques, notamment ceux retrouvés dans les produits céréaliers comme les arabinoxylanes.