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Classifier les risques des patients Covid-19 reste un casse-tête pour le médecin. " J'ai vu des patients de 40 ans admis en bon état général partir en trois jours, et des nonagénaires réintégrer leur maison de repos après deux mois de soins intensifs", témoigne ce médecin au coeur de la pandémie. Certes, comorbidité, âge légal, immunité compromise sont des facteurs de sévérité bien identifiés de l'infection. Mais ils ne suffisent pas à décrire la diversité des cas observés. C'est dire tout l'intérêt de la découverte d'une équipe de chercheurs des Cliniques universitaires Saint-Luc et de l'UCLouvain, qui ont allié constats au lit du patient et recherche translationnelle, en observant les... télomères des patients. Souvenez-vous, les télomères, que l'on observe d'ordinaire dans le cadre du traitement du cancer, sont des séquences d'ADN qui protègent l'extrémité des chromosomes et qui raccourcissent à chaque division cellulaire. Leur taille diminue en fonction de l'âge de la cellule et de l'individu. Lorsqu'ils deviennent trop courts, notamment chez les personnes âgées, les cellules entrent en sénescence. Ces structures jouent donc en quelque sorte le rôle d'horloge biologique cellulaire. " La longueur des télomères n'est toutefois pas la même pour tous les individus du même âge et dépend, entre autres, de certains variants génétiques. A côté d'un impact démontré sur la survenue de nombreuses maladies chroniques, un raccourcissement des télomères semble affecter les défenses contre les virus. On suppose que les individus dont les télomères sont plus courts épuisent plus rapidement leur stock de cellules immunitaires", explique le Pr Antoine Froidure, pneumologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc et à l'Institut de Recherche Expérimentale et Clinique de l'UCLouvain, co-auteur de l'article qui fait état de ces découvertes, publié dans la dernière livraison de "Aging ." Concrètement, les chercheurs ont recruté 70 patients hospitalisés pour une infection Covid-19 aux Cliniques Saint-Luc lors de la première vague de la pandémie (entre le 7 avril et le 27 mai 2020). Âgée de 27 à 96 ans, cette population a été comparée aux résultats d'un groupe témoin, près de 500 personnes non atteintes de la maladie. Dans la cohorte des patients Covid, les télomères se sont avérés plus courts par rapport au groupe de référence. L'étude a aussi mis en évidence que le fait d'avoir des télomères très courts (de taille inférieure au percentile dix pour l'âge) était associé à un risque significativement plus élevé d'admission aux soins intensifs ou de décès. " Ces résultats ouvrent des perspectives importantes dans la compréhension des mécanismes de l'immunité vis-à-vis du coronavirus", jauge Antoine Froidure. Reste que la longueur des télomères ne fait guère partie des données cliniques de base qui sont aujourd'hui collectées dans les hôpitaux. C'est là que le hasard fait le reste: l'équipe pilotée par le Pr Anabelle Decottignies au prestigieux Institut de Duve a mis au point une technique permettant de mesurer en routine clinique la longueur des télomères des cellules du sang des patients. " Le développement de cette technique a pris plusieurs années et a nécessité la collaboration active des Professeurs Bénédicte Brichard et Isabelle Scheers des Cliniques universitaires Saint-Luc pour la collecte des 491 échantillons sanguins de référence. La mesure de la longueur des télomères est une donnée qui peut être précieuse dans de nombreuses maladies, dont des maladies rares. C'est ainsi que l'on constate que des patients peuvent développer une fibrose pulmonaire à 40-45 ans, alors que normalement l'âge d'apparition moyen se situe aux environs de 65 ans. C'est qu'une mutation rare peut avoir entraîné une diminution forte de leurs télomères. Notre test permet de détecter rapidement cette diminution et aide au diagnostic", explique Anabelle Decottignies . "Les applications sont multiples. Il est ainsi possible de vérifier que les potentiels donneurs d'organes comme le poumon ne sont pas frappés par une longueur trop faible des télomères, ce qui affecte la durée effective de survie de l'organe. Cette technique sert aussi à détecter chez des enfants des aplasies médullaires, résultant d'un vieillissement accéléré. C'est la conséquence d'une mutation génétique congénitale. Et cela permet, par exemple, de sélectionner les donneurs de moelle de la famille proche, certains étant frappés de la mutation mais d'autres pas. De plus, si la mutation se trouve dans la famille, elle peut accélérer l'apparition des symptômes au fil des générations. Par exemple, si la première génération est touchée à 60 ans, la 3e peut l'être à 20 ans." Cet outil d'aide au diagnostic pourrait-il déboucher sur un traitement? Peut-on "rallonger" les télomères? " Je le déconseille vivement. Certains espèrent pouvoir le faire en injectant de la télomérase dans l'organisme. Chez la souris, cela a déclenché des cancers. Une conséquence que l'on comprend si l'on se souvient que la cellule cancéreuse cherche à devenir éternelle, à supprimer son vieillissement naturel. En injectant de la télomérase, on crée effectivement cette cellule éternelle et on donne la chance au cancer de se développer nettement plus facilement", analyse Anabelle Decottignies.