...

Alors que le Musée des Beaux-Arts d'Anvers a du renoncer à son expo phare pour cause de retard d'ouverture, que Bozar présentait les gravures et l'oeuvre de Van Orley, contemporain certes mais qui n'a pas grand-chose à voir, le musée de Flandre a choisi lui de prendre le thème de la kermesse, emblématique ( Le repas de noces et La danse de noces) pour replacer dans son contexte historique le génie flamand. Bien sûr, ces deux chefs-d'oeuvre indéplaçables, vu le coût engendré, ne sont pas présents, mais le musée parvient à resituer la révolution bruegelienne dans le contexte du 16e siècle.Et en commençant par ce qui précède, à savoir l'amour courtois comme dans la représentation anonyme du Duc Philippe le Bon et sa suite dans le domaine du château d'Hesdin : tout le monde s'y tient encore fort bien, sauf le fou symbole du désordre et de l'ordre. Van Amstel montre une scène galante déjà plus échevelée, tandis qu'au milieu de deux superbes gravures de Dürer, d'un couple de paysans dansant et d'un joueur de cornemuse, Frans Verbeeck décrit une noce ridicule.Même si le sacré côtoie le païen, c'est surtout le grivois et le grotesque qui domine, notamment dans ce tableau anonyme et caricatural d'une mariée pleurant, grimaçant même, entourée d'un vieillard et d'un jeune homme ou La danse des oeufs, effectuée durant le carnaval et à la symbolique très sexuelle.Si la double lecture (profane et religieuse) est typique de la peinture flamande, le regard de Bruegel se distingue de ses prédécesseurs par le côté bienveillant qu'il pose sur ces fêtes, qui servent d'exutoire à une population qui mène une existence par ailleurs rude.Moins satirique dans ses gravures du Combat de Carnaval et Mardi Gras ou de ses Noces villageoises, sa Danse de noces gravée est mise en regard de l'interprétation picturale qu'en donne son ils Jan (dans La kermesse de la Saint-Georges). S'il théâtralise la scène dans une narration synoptique, il repousse l'aspect grivois au second plan de la toile. Le côté bon enfant de la fête est renforcé par un point de vue de vol d'oiseau, qui place le spectateur à la fois dans et en dehors de la scène.Mettant en opposition la taverne (lieu de débauche) et l'église, Bruegel imagine une composition moins linéaire que ses prédécesseurs jouant des vides pour provoquer un sentiment de tourbillon dans ses scènes théâtralisées.Grâce aux réinterprétations de Pieter II Brueghel (avec Le cortège de noces signé P. Brevghelk et surtout Martin Van Cleve avec La kermesse avec un théâtre et une procession), on sait désormais que Bruegel père a exécuté d'autres tableaux disparus ayant trait à la fête. Un Van Cleve, héritier de Bruegel comme Balten, contrairement à ce dernier, ne se complaît pas dans le registre grivois : son style confère aux personnages des billes à la place d'yeux, ce qui renforce leur expression. Les bustes de ses hommes sont monolithiques, le visage de ses femmes est ovoïde, ses ocres sont plus sombres lorsqu'il décrit La fête de la Saint-Martin, synonyme de la in des vendanges et donc de beuverie gratuite. Son inluence est d'ailleurs patente chez Pieter II, lorsque l'on compare sa Kermesse villageoise avec La noce du second.Un Pieter moins doué que son frère Jan dit de velours, dit aussi des leurs : dans sa Kermesse de Saint-Georges éclate son talent de coloriste, paysagiste et miniaturiste hors pair. Son frère, lui, est tout de même le maître des kermesses, qu'il décrit à l'envi, innovant dans la composition comme dans L'arbre de mai, mêlant son goût du pittoresque, du trivial et de la caricature et se caractérise dans ses personnages par un trait blanc sous les yeux.Alors que Hans Bol et Jabob Savery, frère du génial peintre animalier Roland Savery, replongent dans une tradition médiévale plutôt figée, Brouwer lui se fait à nouveau plus satirique et Teniers plus insouciant, décrivant des stéréotypes de fêtes exutoires en oubliant la procession pour se concentrer sur le profane : bref, la taverne a supplanté le tabernacle !Enfin, vers la in du 16e et à l'orée du 17e, la fête se fait galante tout en restant flamande, sous l'égide de Vinckboons, Flamand protestant réfugié aux Pays-Bas, mais qui continue à décrire les fêtes plus raffinées certes, mais toujours dans une tradition de ses racines... et donc à double sens.D'ailleurs, l'origine du genre est à chercher dans un récit biblique, celui du Fils prodigue dont Pourbus réussit la gageure de raconter la parabole en usant pour se faire d'un mode narratif une fois encore synoptique.Une exposition prolixe en toiles, venues des quatre coins d'Europe, dont la scénographie utilise des tons différents pour chaque salle et terreux en hommage à Bruegel, dans ce musée de Cassel qui, comme dans une toile du génie flamand, surplombe depuis sa colline la plaine de Flandre... en dominant son sujet.