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Il s'agit d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, aurait chanté Charles Aznavour à propos des bons de caisse. Émis par les banques, ces instruments d'investissement très proches des obligations ont longtemps constitué la base de l'épargne dite populaire. À côté du bon classique qui payait un coupon chaque année, il existait également un bon de capitalisation au principe différent : les intérêts, de la première année comme des suivantes, n'étaient pas versés au détenteur, mais ajoutés au capital, de sorte qu'ils rapportaient à leur tour des intérêts. Au fil du temps, on assistait à un effet boule de neige assez sympathique, quoique pas encore très spectaculaire à l'échéance de cinq, huit ou dix ans, durées habituelles de ces bons. Petite précision fiscale : ainsi capitalisés, les intérêts échappaient au précompte mobilier dans un premier temps, ce précompte étant perçu uniquement à l'échéance, sur la différence entre le montant alors obtenu et le capital de départ. Si ces bons de caisse et bons de capitalisation existent en réalité toujours, mais à un niveau plutôt confidentiel, c'est à un autre titre que les banques continuent aujourd'hui de faire l'éloge du principe de la capitalisation auprès de leurs clients : pour mettre en lumière l'attrait des sicav de capitalisation qui, elles, peuvent être détenues sur de très longues périodes. De fait, c'est clairement dans une optique de long terme que la capitalisation trouve tout son intérêt. Ce n'est pas par hasard que les fonds d'épargne-pension ont adopté cette forme. Quand on épargne pour ses vieux jours, suivant l'expression consacrée, et indépendamment de toutes considérations fiscales, la capitalisation s'impose a priori, car les revenus sont aussitôt et automatiquement réinvestis. On conviendra qu'il est impossible à l'investisseur particulier d'être aussi efficace. Outre qu'il sera peut-être tenté, par moments, de dépenser une partie des revenus annuels censés s'accumuler... Il est intéressant - et fort édifiant- d'observer la différence entre des revenus capitalisés et simplement additionnés. C'est ce que Deutsche Bank propose dans un document expliquant le principe des intérêts composés. Hypothèse : un placement de 10.000 euros, qui rapporte 5 % par an. Au bout de 20 ans, les intérêts accumulés (sur un compte courant, par exemple) totalisent 10.000 euros, de sorte que le total atteint 20.000 euros. En capitalisation, on arrive à 26.533 euros, soit presque un tiers de plus. L'exemple est un peu théorique, bien sûr, mais très parlant ! Les gestionnaires de la banque JP Morgan ont réalisé un exercice comparable en retenant une somme de 5.000 euros placée en Bourse au début 1986 (voir graphique 1). Soulignons qu'il ne s'agit donc pas de dollars et de la Bourse américaine, mais d'euros et d'actions européennes (sur la base de l'indice MSCI Europe). Les calculs sont arrêtés au 30 juin dernier. Au bout de 34 ans et demi donc, la valeur de ce portefeuille d'actions est passée, en chiffres ronds, à 25.000 euros. Avec réinvestissement automatique des dividendes, on arrive toutefois à 72.000 euros, soit pas loin du triple. Il est bien clair que l'investisseur ayant vu la valeur de son portefeuille passer de 5.000 à 25.000 euros a par ailleurs touché d'importants dividendes durant cette période, qu'il a pu réinvestir à sa façon ou dépenser. Les deux montants ne peuvent donc être mis sur le même pied. Les comparer, c'est souligner tout l'intérêt qu'il y a à capitaliser son épargne de long terme, dans la mesure où elle produira des intérêts ou revenus composés avec une efficacité maximale. Une parenthèse : ceci vaut pour le long terme, soit, mais qu'en est-il à plus court terme ? Ce n'est pas nécessairement à négliger, loin s'en faut. Une étude réalisée par SG Equity Research, un département de la banque française Société Générale, a révélé que, sur une période de cinq ans, les dividendes représentaient 80 % du return dégagé par une action, l'évolution de cours devant se contenter des 20 % restants. Cette étude portait sur la Bourse américaine, à travers l'indice S&P 500, mais il ne semble guère en aller différemment de ce côté-ci de l'Atlantique. Et c'est une très longue période d'étude qui fut prise en compte, à savoir 1871 à 2010 ! Précisons que les analystes ont retenu une période flottante ; autrement dit, ils ont pris en compte toutes les périodes de cinq ans possibles, ce qui écarte tout effet de hasard. On a compris qu'avec un tel poids, les dividendes ont d'autant plus intérêt à être capitalisés. Il n'est guère surprenant que les intérêts composés aient, sur un mode probablement ironique, été présentés comme " la huitième merveille du monde et la force la plus puissante dans l'univers " par Albert Einstein, prix Nobel de physique en 1921. Il aurait ajouté : " Celui qui comprend l'intérêt composé en bénéficie, celui qui ne le comprend pas... le paie ", allusion à l'épargnant d'un côté, à celui qui s'endette de l'autre. Déclarations authentiques ? Personne n'ose en jurer... Quoi qu'il en soit, si les chiffres évoqués plus haut donnent à réfléchir, il est un autre aspect du phénomène, peut-être plus spectaculaire encore : la différence qui apparaît entre deux placements à long terme réalisés à des moments un peu différents. Le graphique 2 en témoigne, qui illustre le montant obtenu à 65 ans, âge théorique de la pension, par une personne investissant 5.000 euros par an et qui en obtient un rendement annuel de 5 %. On imagine bien que celle qui a commencé à épargner à 25 ans perçoit au final davantage que celle qui ne s'y est mise qu'à 35 ans. Mais sans doute ne réalise-t-on pas spontanément que si la durée d'épargne de la première est supérieure d'un tiers à celle de la seconde, soit 40 ans au lieu de 30, la somme obtenue à la retraite sera, elle, supérieure de 80,7% ! Soit 640.000 euros au lieu de 354.000. La huitième merveille du monde est passée par là... Qu'il s'agisse d'investir pour sa retraite ou de constituer une épargne pour ses enfants ou petits-enfants, on a donc intérêt à commencer dès que possible. C'est ce que conseillent les banquiers et, même s'ils plaident pour leur chapelle, force est de reconnaître que c'est judicieux.