Avec "Downtown New York", Kembrew McLeod dresse le portrait d'un New York marginal, situé à l'époque aux marches de l'industrie culturelle new-yorkaise... dans le bas de Manhattan.
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Un périmètre de trois kilomètres carrés, d'abord refuge des beatniks dans les années 50, avant que toute une faune de marginaux artistiques (la scène du Off-Off-Broadway) sexuels (drags, homos, lesbiennes), ethniques voire les trois - avec parfois un versant politique - y fleurissent: on y croise notamment une personnalité comme Abbie Hoffman, accusé avec six autres activistes de conspiration, pour avoir perturbé la Convention démocrate de 68, en plein conflit du Vietnam (un film, Les 7 de Chicago, réalisé par Aaron Sorkin qui relate l'événement vient de sortir sur Netflix). Andy Warhol devient une figure centrale des lieux (Lichtenstein et Rauschenberg arpentent aussi ce quartier) - bien que l'auteur le trouve plutôt intéressé, calculateur, recycleur, et à l'image de ces mouvements underground, finalement ruminé et digéré par le système capitaliste -, au milieu d'une faune où gravite un jeune De Niro, un gamin nommé Tim Robbins, un Jackson Brown juvénile, un David Bowie venu s'encanailler et trouver des idées. Les Ramones y côtoient les New York Dolls, Alan Vega, Tom Verlaine qui formera Television avec Richard Hell. Deux figures essentielles aux côtés de Drella (que McLeod accuse d'être à la base de la télé-réalité notamment avec ses films et son idée de quart d'heure de gloire) de ce Downtown New York, aussi sombre que l'autre est lumineuse: Patti Smith et Debbie Harry. La première qui fut un temps la compagne de Sam Shepard dans ce creuset de liberté (elle en reparle dans son nouveau livre L'année du singe lorsqu'elle le revoit très malade en 2016) apprend sur ces scènes déjantées à capter le public par ses mots, avant de devenir une égérie punk ; le parcours de Debbie Harry montre pour sa part à quel point cette forme musicale basique voisinait avec le disco, tout aussi marginal même si liée à la communauté noire (où pointe déjà un certain Sylvester), et aide à comprendre pourquoi son groupe Blondie versa également dans cette musique de danse, voire le rap avec... Rapture ; la chanteuse blonde vient d'ailleurs de publier ses mémoires en français, intitulées Face it. Le livre de Kembrew McLeod, pas toujours excellemment traduit, apporte la preuve de que si New York était à l'époque une ville dangereuse, sa dangerosité était au synonyme de créativité débridée, loin de la gentri-"fric"-ation actuelle ; il démontre également au passage que, contrairement à ce que l'on croit parfois, la Big Apple fut punk avant Londres, mouvement récupéré par un Britannique du nom de Malcom Mclaren. Surtout, l'ouvrage, très documenté, atteste que si la Côte Ouest et la Californie furent les porte-drapeaux hippies, le coeur de New York ne succomba jamais vraiment à ce mouvement, gardant, malgré l'acide et autres drogues qui finirent par assécher avant le sida ce magma artistique, ce côté abrasif, brutal et surtout, surtout, provocateur. Bref, punk! Kembrew McLeod: Down Town New York: Underground 1958 1976 (Rivages Rouges/Payot-Rivages) Patti Smith: l'année du singe (Gallimard) Les 7 de Chicago d'Aaron Sorkin, sur Netflix Debbie Harry: Face it. Mémoires (Editions HarperCollins)