Grâce au fameux variant delta et à sa contagiosité inédite, la quatrième vague est là et bien là. Les experts s'efforcent aujourd'hui de comprendre les mécanismes qui sous-tendent ce véritable tour de force.
...
Des scientifiques ont récemment calculé que le R0 (taux de reproduction dans une population non immunisée) du variant delta du Sars-CoV-2 s'élevait à 6,4, alors que celui de la souche originale découverte à Wuhan se situait, selon les estimations, entre 2 et 4. Sa contagiosité est aussi supérieure d'au moins 40% à celle du variant alpha apparu fin 2020 en Grande-Bretagne. L'une des différences majeures entre delta et les variants antérieurs réside dans la composition de la protéine spike au niveau d'un segment appelé site de clivage de la furine. Ce dernier est présent dans tous les variants du Sars-CoV-2 mais, dans le variant delta, l'acide aminé proline a été remplacé à un endroit bien précis par une molécule d'arginine - une mutation connue sous le nom de P681R. La découverte par des chercheurs chinois d'un site de clivage de la furine sur le Sars-CoV-2 avait d'emblée fait se froncer bien des sourcils. On savait en effet déjà que les virus influenza porteurs de cette séquence sont particulièrement contagieux... mais aussi qu'elle n'était pas présente sur le Sars-CoV-1 responsable de l'épidémie de 2002-2003 en Chine. Comme son nom l'indique, le site de clivage de la furine est une séquence clivée - scindée - par la furine, une enzyme propre à la cellule-hôte. Une coupure à ce niveau rend possible (ou à tout le moins facilite grandement) la pénétration du virus dans les cellules épithéliales des voies respiratoires. Dès le début de la confrontation, la cellule-hôte donne donc littéralement un coup de main à l'intrus! La protéine spike se compose, en gros, de deux segments principaux, S1 et S2. Le segment S1 se trouve dans la "tête" de la pique et contient la partie qui se lie au récepteur ace2 de la cellule-hôte (le domaine RBD, pour " receptor binding domain"). Le segment S2 est situé à sa base, où elle est fixée à la membrane du virus ; c'est l'outil qui réalisera la fusion entre cette dernière et la membrane de la cellule épithéliale. Dès le moment où le virus se pose sur le récepteur ace2, une première coupure au niveau du segment S2 l'aide à passer à l'étape suivante. Elle est assurée par TMPRSS2, une protéine membranaire de la cellule-hôte ; celle-ci n'est pas la seule option disponible à ce stade, mais bien la plus efficace. Son intervention provoque le déploiement du segment S2, qui introduit son extrémité libre dans la membrane de la cellule-hôte. S2 subit ensuite une modification structurelle qui l'amène à se replier comme une sorte de couteau suisse. Ce faisant, il tire l'une vers l'autre les deux membranes, celle du virus et celle de la cellule-hôte, qui vont fusionner et permettre ainsi au premier d'injecter son génome dans la seconde. La réplication virale intracellulaire est alors prête à commencer. Mais la furine dans tout cela? Il s'agit d'une enzyme intracellulaire de la cellule-hôte qui donne un petit "coup de ciseaux" au niveau du site de clivage susmentionné (entre les segments S1 et S2) avant que les nouveaux virus ne quittent la cellule, ce qui prépare la protéine spike à l'intervention de TMPRSS2. Si le clivage de la furine n'a pas lieu, TMRRSS2 ne fera qu'effleurer la protéine spike et le virus devra emprunter une autre voie plus lente pour pénétrer dans la cellule-hôte. La grande force du variant delta, c'est que la substitution de la proline par l'arginine permet à la furine de scinder encore plus efficacement la protéine spike. Le variant alpha possédait déjà une mutation au même endroit du site de clivage de la furine, mais celle du variant delta a davantage d'impact. En exposant une culture de cellules de l'épithélium respiratoire humain à des quantités comparables des deux variants, des chercheurs ont constaté que le variant delta prenait très rapidement le dessus sur le variant alpha, ce qui démontre clairement l'importance de la mutation P681R. Cette mutation bien spécifique a beau être lourde de conséquences, les experts soulignent qu'elle n'explique probablement pas à elle seule pourquoi le variant delta se propage comme une trainée de poudre, puisque celui-ci possède encore nombre d'autres mutations au niveau non seulement de la protéine spike, mais aussi de plusieurs autres. Le variant kappa, lui aussi apparu en Inde, est d'ailleurs également porteur de la mutation P681R mais se transmet moins facilement ; sa protéine spike est moins souvent scindée et sa membrane a plus de mal à fusionner avec celle de l'hôte. Début 2021, des chercheurs ont aussi vu surgir en Ouganda un nouveau variant porteur de la mutation P681R qui s'est propagé à l'ensemble du pays, mais là aussi sans atteindre le degré de contagiosité de delta. Celui-ci doit donc clairement son caractère exceptionnel à plus d'une mutation...