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Le journal du Médecin: Ce qu'on a appelé la "Belle époque" par la suite, semble avoir été une période tout à fait hystérique, qui ressemble furieusement à celle que nous connaissons aujourd'hui? Julian Barnes: Il y a un élément qui m'a frappé en me plongeant dans cette période: l'instabilité politique, l'extrémisme, l'antisémitisme, la violence à un niveau politique autant que personnel ; un nationalisme agressif porté par une propagande genre sang et sol... pas vraiment différent d'aujourd'hui. Excepté qu'heureusement nous avons l'Union européenne - c'est donc la Grande-Bretagne qui risque de devenir folle... À plusieurs reprises, cette phrase prononcée par Pozzi revient dans votre livre: "le chauvinisme est une forme d'ignorance". N'est-ce pas cette phrase finalement, plus que le tableau, qui a déclenché chez vous l'écriture de ce livre? J'ai seulement découvert cette citation pleine de sagesse en laissant le traité de Gynécologie de Pozzi, ce qui signifie que j'étais déjà bien avancé dans le manuscrit. Ce ne fut pas le point de départ, mais le point final. Et cela reste toujours d'une grande pertinence aujourd'hui, alors que beaucoup sont tentés par un nationalisme étroit et une supériorité raciale. Souvent les pro européens anglais le sont par pur intérêt économique. Ce n'est pas votre cas. Etes-vous une exception? Non, beaucoup de ceux-ci le sont pour des raisons idéalistes, culturelles, morales et sociales. Le problème réside dans le fait que l'argumentation en faveur de l'Europe a toujours été présentée en des termes économiques, parce que les autres raisons ne sont pas très porteuses politiquement. Donc, l'argument en 2016 s'est résumé à " nous serons plus riches au sein de l'Europe" contre " nous serons plus libres en dehors de l'Europe". Il est facile de comprendre que le second slogan était plus attirant émotionnellement... Seules les personnes très éduquées semblent défendre l'idée européenne en Angleterre? Je pense, quatre ans après le vote, qu'il n' y a qu'en Écosse où le pro européanisme est vraiment vivace. Le Parti travailliste a déclaré que la question n'est pas révisable, du fait que de nombreux travaillistes ont voté "leave". Nous allons devoir patienter une génération ou deux avant que nous ne redécouvrions la vérité et le charme de l'Europe - si du moins l'Union européenne survit. Mas bon, cela, c'est votre travail! Le nationalisme peut-il être ouvert, comme il semble plus l'être en Écosse? Oui, bien que les nationalismes soient habituellement contre quelque chose autant que pour. Le nationalisme écossais se définit contre le pouvoir (conservateur) anglais. Je le soutiens totalement: l'Écosse serait un grand atout pour l'Europe. Et je crois également que ce serait formidable si les trois autres nations de la Grande-Bretagne rejoignaient à nouveau le projet européen. Je ne le verrais sans doute pas de mon vivant, mais je peux au moins y rêver...