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Les faits se déroulent en 2010. En soulevant un poids lourd dans le cadre de son travail, monsieur M. ressent une forte douleur au dos. Il se rend chez son médecin traitant qui lui prescrit du Myolastan et de l'Ibuprofène. En l'absence d'amélioration, il se rend le lendemain aux urgences. Des examens lui sont prescrits et le traitement médicamenteux est renforcé. Une IRM est ensuite réalisée, laquelle met en évidence une "nette discopathie en L4-L5 avec perte du signal élevé en pondération T2. Étalement discal avec légère protrusion postéro-latérale droite". Le patient est vu en consultation par le docteur L., chirurgien orthopédiste, lequel adresse ensuite un courrier circonstancié à son médecin traitant. Après avoir fait état de plaintes du patient depuis plus de 15 ans et avoir relaté le résultat de l'examen clinique, il y écrit qu'il apparait licite de lui proposer une chrirugie de remplacement discale L4-L5 qui se réalise par méthode mini-invasive avec une rééducation relativement rapide. L'intervention est donc programmée. Malheureusement, à la suite de celle-ci, le patient présente une complication neurologique relativement invalidante. Il introduit dès lors un recours devant le Fonds des accidents médicaux. La victime d'un accident médical peut, en effet, s'adresser à ce fonds en vue de solliciter l'indemnisation de son préjudice. Aux termes de la procédure administrative, le Fonds indemnise la victime lorsque le dommage trouve sa cause dans un accident médical sans responsabilité, pour autant que le dommage soit anormal et réponde au seuil de gravité requis pas la loi. Le fonds indemnise aussi la victime lorsqu'il est d'avis que le dommage qui atteint le seuil de gravité requis trouve sa cause dans un fait engageant la responsabilité d'un prestataire de soins et que celui-ci ou son assureur conteste cette responsabilité. Afin d'apprécier les conditions de son intervention, le Fonds ordonne une expertise contradictoire. Sur base de celle-ci, si le Fonds conclut à la responsabilité du prestataire, il indemnise la victime et se retourne ensuite contre le prestataire pour récupérer ses débours. En l'espèce, l'expert désigné par le Fonds des accidents médicaux conclut que "(...) l'indication proposée sans traitement conservateur rigoureusement suivi au préalable ne correspond pas aux critères de bonne pratique (...). La bonne pratique exige une prise en charge de type revalidation et/ou école du dos préalablement à une intervention de type arthrodèse dans le cadre de lombalgies, particulièrement s'il s'agit d'une intervention comportant des risques non négligeables de complications. Les données de la littérature scientifique autorisent, en effet, la réalisation d'une intervention de type arthrodèse lombaire dans le cadre d'une discopathie à l'origine de lombalgies, mais après échec d'un traitement conservateur préalable bien conduit, ce qui n'est pas le cas dans cette observation." Sur base de ce rapport, le Fonds des accidents médicaux retient la responsabilité du praticien et indemnise le patient. Le Fonds introduit ensuite un recours judiciaire contre l'assureur du prestataire pour obtenir le remboursement des montants décaissés. Devant le tribunal, l'assureur du praticien conteste le rapport et fait notamment valoir que l'expert qui avait déjà rendu un avis pour une autre victime contre le même médecin ne présente pas les garanties d'impartialité requises et aurait dû être récusé. Il dénonce aussi le fait que la procédure d'expertise elle-même ne présente pas lesdites garanties, dans la mesure où elle est ordonnée par le Fonds lui-même qui, contrairement à un magistrat, n'apparaît pas comme un organe totalement impartial puisque le résultat de l'expertise aura une incidence sur la possibilité pour le Fonds de récupérer ou non les indemnités versées. Subsidiairement, il fait valoir que le dommage indemnisable ne consiste pas en une aggravation neurologique, mais uniquement en la perte d'une chance. Saisi de ce différend, le tribunal admet la pertinence de l'argumentation de l'assureur mais estime que le rapport ne doit pas pour autant être d'emblée écarté. Il n'en demeure pas moins un avis qui ne lie pas le tribunal qui peut y avoir égard à titre de renseignement, de présomption voire de preuve. Le tribunal poursuit donc son examen sur base du rapport d'expertise. En l'espèce, aucun reproche n'est adressé au médecin en ce qui concerne le diagnostic posé et l'indication opératoire en tant que telle. Il lui est fait grief d'avoir pratiqué l'intervention sans d'abord tenter un traitement conservateur. À ce sujet, le tribunal relève à la lecture du rapport d'expertise que le médecin ignorait ce que les experts ont relevé, à savoir que les lombalgies étaient épisodiques et peu invalidantes. Au contraire, il a été indiqué que le patient souffre du dos depuis 15 ans et avait essayé divers traitements sans succès. Ainsi, le tribunal en conclut que, compte tenu des antécédents du patient dont le médecin avait connaissance, des déclarations de celui-ci et du résultat des examens médicaux qu'il avait fait pratiquer, le chirurgien n'a commis aucune faute en proposant l'intervention chirurgicale litigieuse sans préalablement faire une nouvelle tentative de traitement conservateur. Il en va d'autant plus ainsi que "la chirurgie proposée était à l'époque une nouvelle technique très prometteuse car moins invasive (permettant une récupération plus rapide) qui présentait certes des risques relativement élevés de complications mais à caractère cependant transitoire." Ce n'est que plusieurs années plus tard qu'il a été constaté que les complications générées par cette méthode étaient plus fréquentes et plus graves qu'estimé, ce qui a conduit à son abandon. Aux termes de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, ce dernier a le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable concernent l'objectif, la nature, le degré d'urgence, la durée, la fréquence, les contre-indications, effets secondaires et risques inhérents à l'intervention et pertinents pour le lui, les soins de suivi, les alternatives possibles et les répercussions financières. Il appartient ainsi au médecin d'informer son patient des alternatives au traitement ou à l'intervention et des conséquences ou risques de complications ou d'accidents qui en découlent. L'information à fournir doit permettre au patient de choisir en connaissance de cause la technique médicale qu'il estime être la plus avantageuse pour lui tant du point de vue de l'utilité de l'opération elle-même, que du point de vue des risques y afférents. Par ailleurs, dans la mesure où il implique une atteinte à l'intégrité physique du patient susceptible d'être pénalement qualifiée de coups et blessures volontaires, l'acte médical n'est licite que s'il présente une utilité pour le patient. Le médecin est ainsi tenu de mettre en oeuvre le traitement qui correspond à " l'optimum thérapeutique", c'est-à-dire d'appliquer la méthode qui présente le moins de risques et le plus d'efficacité. Dans l'appréciation de l'utilité de l'intervention chirurgicale envisagée, le chirurgien est tenu d'appliquer la règle de proportionnalité: il ne peut pratiquer une intervention qui soumet son patient à des risques hors de proportion avec le but thérapeutique ou l'avantage escomptés. Avant de poser une indication opératoire, le médecin doit donc mettre en balance les bénéfices que l'intervention est susceptible de procurer au patient et les risques qu'elle lui fait courir. En l'espèce, le médecin s'est fié aux informations transmises par le patient qu'il n'avait, comme le souligne le tribunal, aucune raison de remettre en doute. Selon celles-ci, le patient souffrait depuis 15 ans, avait essayé divers traitements sans succès et avait subi plusieurs arrêts de travail. Lorsqu'une intervention est risquée, il reste conseillé au médecin de d'abord prescrire un traitement conservateur sous sa propre supervision afin de s'assurer de son suivi rigoureux et de l'absence de résultat dont découle avec certitude l'indication opératoire. Force est toutefois de constater que la chirurgie proposée était à l'époque une nouvelle technique très prometteuse car moins invasive, et dont les risques importants n'étaient alors pas connus. C'est tenant compte de cet état de la science et des antécédents du patient que le médecin lui a proposé l'intervention. Il a d'ailleurs pris soin de préciser à son courrier adressé au médecin traitant que l'intervention est indiquée dès lors qu'elle se réalise par méthode mini-invasive avec une rééducation relativement rapide chez un patient qui souffre depuis plus de 15 ans et a déjà subi des séances de kinésithérapie. Or, en matière de responsabilité, la faute éventuelle s'apprécie en se replaçant au moment de sa commission et de l'état de la science à cette époque. À ce sujet, le tribunal relève que les experts du Fonds se sont fondés sur une littérature scientifique parue neuf ans après l'intervention chirurgicale et donc non pertinente. Sur base de ces considérations, le tribunal a pu conclure à l'absence de faute dans le chef du praticien. Notons que le patient, lui, a été indemnisé par le Fonds.