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Lieu de savoir, l'hôpital est aussi un bouillon de culture politique. En effet, si le savoir s'apprend dans les livres et se déploie en procédures, le pouvoir se forge dans l'action. Et l'hôpital, par essence, est un lieu d'actions ajustées au service de chaque malade. La singularité des malades est une première raison pour ne pas voir la culture politique de l'hôpital comme un tout homogène. Mais il y en a bien d'autres. L'asymétrie d'informationLa confiance joue un rôle crucial dans les rapports entre profanes et spécialistes. De sa position d'infériorité, le malade s'accroche aux bâtons du savoir des médecins. Comment peut-il être sûr que cela va marcher ? Le pouvoir y a pensé en offrant d'autres bâtons : les formulaires de consentement éclairé. Mais gare à la dérive juridique. Rien ne peut remplacer une culture du dialogue entre malades et médecins. A l'hôpital cependant, la surcharge des équipes laisse beaucoup de patients sur leur faim d'explications. La confiance dépend autant de la manière d'exercer un savoir que de son contenu. Après la phase de diagnostic, une phase de questions réponses s'impose. L'abandon de ce rôle par les médecins réduit leur humanité. Cette tendance regrettable s'aggrave lorsque la loi encourage le recours systématique à des médiateurs ou à des psychologues, par ailleurs très utiles au besoin. La spécialisation du savoirD'aucuns regrettent un découpage du corps humain et prétendent y remédier en prônant la médecine holistique. Si la coordination est un must, la remplacer par des mots ne résout rien. Le respect du patient dans sa globalité passe par le dialogue transversal entre les spécialités. A nouveau, bien plus que des formulaires d'une pluridisciplinarité de façade, les contacts directs entre médecins jouent un rôle essentiel. Autour des malades, tous devraient appuyer le bâton de leur discipline pointue au tronc de la clinique. La division du pouvoir en hiérarchies légalement définiesLa loi sur les hôpitaux décrit dans le détail des postes, des fonctions et des comités de responsables médicaux, infirmiers, pharmaciens et autres. Le souci évidemment légitime de coordination et d'intégration au service des malades a inspiré le législateur. Y a-t-il réussi ? Cela dépend moins de la loi que des relations entre les gestionnaires de l'hôpital et les professionnels de terrain. Une question de culture, bien plus que de règlement. Une amie ayant vécu la vie hospitalière de l'intérieur me fait remarquer : " Je comprends la segmentation en spécialités riches de contenu scientifique et technique ; par contre, je ne vois pas en quoi la division des pouvoirs poussée à l'extrême se justifie ". A trop diluer les responsabilités, le bâton de la politique devenu creux risque de céder sous les egos corporatistes et clientélistes. Le leadershipDeux questions pour tout leader hospitalier : 1° comment aider le malade à choisir lorsque plusieurs spécialités se disputent ses faveurs ? 2° comment coordonner les spécialistes requis auprès d'un patient polypathologique ? Sur ces points et d'innombrables autres, le leadership de l'hôpital doit agencer les bâtons du savoir et du pouvoir transversalement et verticalement autour de chaque malade pour lui offrir le plus d'espace de vie possible. L'hôpital et les médecins extérieursLes patients hospitalisés ont souvent un généraliste, parfois un spécialiste, qui les connaissent bien. Au moindre doute, il devrait être naturel de les consulter. Car ils disposent de solides bâtons remplis d'une longue expérience du malade. L'ouverture effective aux alentours appartient aussi à la culture politique d'un hôpital. ConclusionLe leadership hospitalier devrait dresser le cadre d'une attention prioritaire effective aux patients. Hélas, nulle part la loi sur les hôpitaux ne parle de priorités. Elle stipule que les hôpitaux remplissent " une mission d'intérêt général ". Pourquoi pas " une mission prioritaire au service de chaque patient hospitalisé " ? Peut-être aurions-nous alors plus de cliniciens et de personnel infirmier dans les unités de soins, ces métiers du terrain dont la crise Covid-19 a rappelé l'importance pour garder la société-crocodile ouverte et heureuse.