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On sait l'importance du cancer du sein dans notre pays: près de 11.000 nouveaux cas décelés par an, un taux de risque qui dépasse les 11% sur la durée de la vie. Or, lorsque les cancers du sein progressent, le développement de métastases hépatiques est fréquent, représentant une cause majeure de mortalité chez ces patientes. " Si les métastases sont exclusivement localisées dans le foie et qu'elles sont techniquement résécables, l'ablation chirurgicale de ces lésions peut permettre une amélioration très significative de la survie et, dans des cas plus rares, une guérison", explique le professeur Vincent Donckier, chef du service de Chirurgie à l'Institut Jules Bordet, centre intégré de lutte contre le cancer de référence en Belgique . "Cependant, jusqu'à présent, nous ne disposions pas de facteurs permettant de prédire quelles seront les patientes qui bénéficieront de ce traitement chirurgical et celles qui, au contraire, subissent une chirurgie futile. C'est la raison principale pour laquelle le rôle de la chirurgie pour le traitement des métastases hépatiques du cancer du sein reste largement débattu." C'est dire l'importance des résultats publiés par l'équipe dirigée par le Pr Vincent Donckier dans le prestigieux Nature Publishing Journal Breast Cancer. Il s'agit d'une étude rétrospective, basée sur un échantillon d'une quarantaine de patientes, réalisée en collaboration avec des équipes de l'UZA et de l'UZ Leuven. Les chercheurs ont découvert que les métastases hépatiques du cancer du sein pouvaient s'organiser en deux types de microstructures dans le foie: une forme dans laquelle les cellules cancéreuses sont entourées par une capsule fibreuse (forme desmoplastique) associée à un infiltrat important par des cellules immunes et une autre dans laquelle les cellules cancéreuses infiltrent directement le foie (forme infiltrante), sans cellules immunes associées. " Les résultats de la chirurgie sont très significativement meilleurs lorsque les métastases étaient de type desmoplastique, permettant des survies à long terme, alors que toutes les patientes opérées pour des métastases de type infiltrant ont récidivé rapidement après l'opération. Ceci illustre que dans ce cas, comme dans toute chirurgie du cancer, la sélection des patients est un point crucial. Pour la chirurgie des métastases hépatiques du cancer du sein en particulier, il n'existe actuellement pas de moyen fiable de distinguer les patientes qui vont bénéficier de cette intervention et celles chez lesquelles cette intervention sera malheureusement inutile. Nos observations sont prometteuses. Nous espérons qu'elles pourront contribuer au développement de nouveaux modèles de décision thérapeutique, mieux personnalisés, en guidant le choix du traitement selon la biologie du cancer, dans chaque cas individuel", explique le Pr Donckier. " Même si le cancer du sein métastatique est souvent considéré comme une maladie systémique, un traitement local ciblant les métastases peut permettre des survies prolongées". Chez les patientes présentant des métastases exclusivement hépatiques, la résection chirurgicale est associée à une survie entre 22 et 61 mois et à une survie sans progression longue, servant de preuve de concept d'un statut oligométastatique dans un sous-groupe de patientes. Au sein d'une collaboration inter-universitaire, les chercheurs de l'Institut Bordet se consacrent actuellement à la recherche de marqueurs pouvant identifier ce statut oligométastatique. Il s'agit d'un objectif important en clinique pour mieux sélectionner les patients candidats à une chirurgie ou à un autre traitement ciblé (radiothérapie, traitement intra-vasculaires) des métastases. Le modèle principalement étudié est celui des métastases hépatiques et, plus particulièrement, des métastases hépatiques de cancer colo-rectal. Deux présentations se distinguent clairement: un modèle infiltrant (R-HGP) dans lequel les cellules cancéreuses infiltrent directement le parenchyme hépatique et remplacent les hépatocytes résidents, cooptant ainsi les vaisseaux sanguins sinusoïdaux du foie. Un modèle desmoplasique (D-HGP), dans lequel, au contraire, les cellules cancéreuses sont séparées des cellules hépatiques par une réaction desmoplasique, souvent densément infiltré de cellules inflammatoires. Dans le D-HGP, la vascularisation tumorale est assurée par néoangiogenèse. Chez les patients opérés pour métastases hépatiques d'origine colo-rectale, le R-HGP est associé à une moins bonne survie postopératoire par rapport au D-HGP. C'est ce modèle que les chercheurs ont vérifié avec succès chez les patientes atteintes d'un cancer du sein, suggérant que le pattern histologique des métastases hépatiques pourrait correspondre à un marqueur du comportement métastatique, permettant de distinguer les progressions oligométastatiques et les progressions systémiques. " Nos observations confirment l'association entre le R-HGP et les récidives rapides après résection", explique le Pr Donckier. " En revanche, la D-HGP peut identifier les patientes atteintes d'un cancer du sein candidates à une chirurgie hépatique pour prolonger leur survie. Dans cette série, toutes les patientes atteintes de R-HGP ont récidivé rapidement, dans les 20 mois suivant l'intervention, indiquant une évolution de la maladie plus agressive et remettant fortement en question le rôle de la chirurgie dans ces cas. A ce stade, la limite est bien sûr que le HGP ne peut être déterminé qu'après l'intervention chirurgicale, par l'analyse de la pièce opératoire. De nombreux travaux sont en cours pour développer de nouveaux outils pour prédire l'HGP avant la chirurgie, par exemple en utilisant des méthodes d'imagerie médicale dédiées, notamment assistée par intelligence artificielle (IA). Ces nouveaux modèles pourraient donc jouer un rôle essentiel pour mieux guider la décision chirurgicale chez les patients porteurs de métastases hépatiques, dans le cancer colorectal, dans le cancer du sein et, potentiellement dans d'autres tumeurs. Nous étudions actuellement l'histologie des métastases dans d'autres types de tumeurs afin d'évaluer si le HGP pourrait représenter un marqueur pan-cancer." Cette première preuve de concept ouvre de nouvelles perspectives pour mieux sélectionner les patientes candidates à un traitement chirurgical, pour mieux comprendre les différents modes de progression du cancer du sein et, potentiellement, développer de nouvelles approches thérapeutiques.