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Les études de laboratoire ont permis de montrer que l'ostracisme se décline en trois étapes principales. La première, appelée stade du réflexe, souligne qu'une situation de rejet social induit une souffrance immédiate chez la personne ostracisée. On observe alors différentes réactions physiologiques, dont une augmentation de la pression artérielle, du rythme cardiaque et du taux de cortisol. Plus étonnamment, des études en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ont révélé une activation supérieure du cortex cingulaire dorsal antérieur, région cérébrale associée à la douleur physique. Dans un premier temps, le sentiment d'être ostracisé engendrerait apparemment une souffrance, une "douleur morale", comparable à une douleur physique. "Cette souffrance est relativement indépendante de facteurs situationnels ou contextuels et touche à peu près tout le monde", écrivent Vincent Yzerbyt et Olivier Klein, professeurs de psychologie sociale respectivement à l'UCLouvain et à l'Université libre de Bruxelles. "Par exemple, même si la personne qui semble nous rejeter ou nous ignorer ne l'a pas fait de manière intentionnelle, nous ressentons cette souffrance." Les conséquences physiologiques du rejet social constitueraient une alerte, à l'instar de la douleur physique qui avertit le corps qu'il est en danger. Par là même, elles inciteraient l'individu à recréer du lien avec autrui, ce qui, dans une perspective évolutionniste, apparaît comme une nécessité pour la survie à l'échelle de l'espèce. Au stade du réflexe (émotionnel) succède celui de la réflexion, de l'évaluation cognitive. Selon Kipling Williams, aujourd'hui professeur émérite de l'Université Purdue à West Lafayette, dans l'Indiana, la menace que représente l'ostracisme pour celui qui le subit peut concerner, à des degrés divers, quatre besoins fondamentaux de l'individu: l'appartenance à une collectivité, l'estime de soi, le contrôle, c'est-à-dire sentir qu'on pèse d'un certain poids dans l'interaction sociale, et enfin donner du sens à son existence. À propos de ce quatrième aspect, le Pr Yzerbyt précise: "Lorsqu'on est rejeté d'un groupe, on peut avoir l'impression de ne servir à rien, que notre existence n'a guère de signification puisque les autres nous écartent ou ne nous accordent pratiquement aucune attention." L'effet menaçant de l'ostracisme sur les besoins sociaux fondamentaux a été confirmé par de nombreuses études et au moyen de plusieurs paradigmes expérimentaux. Dans les situations où les besoins les plus menacés aux yeux de l'individu ostracisé sont l'appartenance groupale ou l'estime de soi - des besoins relationnels -, essayer de rétablir des liens sociaux sera la réaction la plus probable. Cette quête n'est pas anodine car, rapporte Vincent Yzerbyt, "les personnes victimes d'ostracisme sont plus enclines à se laisser influencer par autrui, voire à lui obéir". Ainsi, dans certaines expériences au cours desquelles des points de vue minoritaires sont proposés à un groupe de participants préalablement ostracisés et à un groupe contrôle, à propos de sujets controversés, on observe que les personnes ostracisées ont tendance à abandonner leur point de vue pour en rallier d'autres. Par exemple, elles adhérent plus volontiers à un texte prônant des mesures coercitives en matière d'avortement que ne le font les membres du groupe contrôle. Lorsque ce sont les besoins de contrôle et de sens qui sont perçus comme les plus impactés par l'ostracisme dont on est la cible, la réponse résiderait dans la volonté de modifier son environnement. Comment? Notamment par des conduites agressives - colère, violence... D'après divers auteurs, agresser d'autres personnes permettrait de restaurer un sentiment de contrôle et d'existence. Aux États-Unis se déroulent régulièrement des homicides de masse par arme à feu. L'un des épisodes les plus tristement célèbres de ce phénomène dit de "Mass Shooting" en anglais est la fusillade de Columbine, le 20 avril 1999. Deux élèves d'une école secondaire de cette ville du Colorado se suicidèrent après avoir tué 12 élèves et un professeur, laissant 24 autres adolescents plus ou moins grièvement blessés. L'enquête montrera que les deux auteurs de ce carnage étaient en grande difficulté relationnelle avec leur entourage, se sentaient exclus. Et c'est fréquemment le même constat qui est dressé pour les autres tueries de ce type. Face au sentiment de perte de contrôle ou de sens, la fuite est, à côté de l'agressivité, une autre solution possible quand s'offre l'opportunité d'échapper à l'environnement particulier dans lequel on se sent mis à l'écart. "En effet", relate Vincent Yzerbyt, "certaines personnes sont sans réaction face au rejet social qui s'abat sur elles. Elles sont comme pétrifiées, à l'image d'un daim qui resterait immobile lorsqu'une voiture s'approche pendant la nuit. C'est une réaction fréquente face au stress, mais inadaptée".En fonction de notre perception de la manière dont il menace nos besoins fondamentaux, l'ostracisme éveille donc, en guise de réponse, des comportements antisociaux ou prosociaux. Ces derniers, comme susmentionné, sont principalement induits par des besoins écornés d'appartenance à une collectivité ou d'estime de soi. Néanmoins, dans une dynamique secondaire, ils peuvent parfois conduire à des actes antisociaux en raison du profil du groupe auquel nous aurons porté allégeance afin de nous y intégrer. Des travaux de laboratoire menés en 2018 par Andrew Hales et Kipling Williams, tous deux de l'Université Purdue, ont mis en évidence que des personnes ayant été préalablement ostracisées dans le cadre du paradigme du Cyberball, où est artificiellement créée une situation d'ostracisme à partir d'un jeu en réseau de lancer de balle entre un individu et deux partenaires fictifs qui finissent par ne plus lui envoyer la balle, envisageaient plus favorablement qu'en condition contrôle le fait de rejoindre des groupes radicaux ou des bandes urbaines pour commettre des actes de délinquance. De nombreux auteurs considèrent que l'ostracisme vécu comme une menace pour l'affiliation sociale ou l'estime de soi est susceptible de pousser les personnes ostracisées à se tourner vers des groupes sectaires ou aux idéologies déviantes. Dans leur ouvrage, les professeurs Yzerbyt et Klein se demandent si Mohammed Merah, qui sema la mort dans une école juive toulousaine en 2012, s'était radicalisé à la suite des multiples exclusions dont il avait été victime dans le système scolaire français. Dans la même logique, l'engagement d'Hitler dans le nazisme a-t-il pu être en partie la résultante du peu de succès qu'il rencontra en tant que peintre? "Si des explications aussi simplistes de l'engagement radical (fût-il nazi ou djihadiste) sont insuffisantes à elles seules", écrivent les deux psychologues, "l'engagement dans des groupes extrémistes peut de fait répondre à différents besoins mis à mal par l'ostracisme, car ils confèrent notamment un sentiment d'appartenance". Vincent Yzerbyt note par ailleurs que leurs membres font souvent l'objet d'une sélection intense, ce qui est d'autant plus valorisant pour l'estime de soi, que les idéologies véhiculées par ces groupes peuvent répondre au besoin de sens que l'on souhaite donner à son existence et que la violence est de nature à rencontrer le besoin de contrôle de l'individu sur son environnement. Très limitées en durée pour des raisons éthiques, les expériences de laboratoire ne permettent pas, on le comprend, d'étudier les conséquences d'ostracismes chroniques. Cependant, on peut légitimement supposer que l'impact d'une exposition prolongée au rejet social est exacerbé par rapport à celui d'une exposition ponctuelle. Pour mieux cerner le problème, il convient en quelque sorte de marier l'expérimentation "hic et nunc" et l'observation de situations réelles de chronicisation qui, à défaut de fournir formellement des relations de cause à effet, permettent de dégager des associations. Par exemple, on constate que la criminalité est moindre lorsque le lien social est fort. La personne ostracisée de façon chronique est en proie à des épisodes répétés de stress subi (par opposition à choisi). S'ensuit notamment un risque accru de maladies cardiovasculaires. De même, le rejet social balise la voie d'états dépressifs, d'une baisse de l'estime de soi et du sentiment de représenter une charge pour autrui. "Dans ce type de situation, chaque interaction sociale est perçue comme risquée, et les victimes d'ostracisme chronique sont extrêmement sensibles à des signaux potentiels de rejet", souligne Vincent Yzerbyt. Leur solitude peut s'en trouver renforcée. En effet, de peur de l'échec, elles tendent à éviter les interactions sociales. Mais le trait essentiel de la chronicisation de l'ostracisme est ce qui peut en constituer la troisième étape selon les modèles théoriques: le rejet social récurrent mène fréquemment à une forme de résignation. La personne ostracisée finit alors par accepter que ses besoins fondamentaux ne soient pas satisfaits, avec toutes les conséquences délétères que l'on imagine.