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Au tournant du siècle dernier, ce musée achète, en 1910 précisément, un tableau de van Gogh, Le champ de coquelicots, datant de 1889 : chef-d'oeuvre qui a fait le voyage jusqu'à Bilbao, et qui, à l'époque de son achat, fut la première toile du peintre hollandais à être acquise par un musée allemand. Il suscita une polémique : les tenants de l'esprit national de la jeune Allemagne ne comprenaient pas que l'on lorgne ainsi sur l'art de l'ennemi français, au contraire de ceux qui voyaient dans l'impressionnisme, les nabis ou l'école de Barbizon une inspiration pour les artistes germaniques.L'expo basque met en regard les différentes écoles des deux pays, l'influence ou pas de la France sur les artistes d'outre-Rhin... et pas l'inverse.Elle effectue pour cela un retour en arrière, comparant le classicisme français d'un Dominique Papety décrivant très bien et très sagement la villa de Raphaël à Rome, le portrait renaissant d'une jeune femme par Théodore Chassériau, ou La découverte de Moïse par Friedrich Overbeck, d'un raphaélisme convaincant pour son époque : 1823.C'est l'une des grandes richesses, et loin d'être la seule de cette exposition, que de remettre en lumière des peintres oubliés, voire inconnus, et ce, tout au long des salles. Tournant son regard sur le romantisme, elle dévoile côté allemand, celui brouillé d'un Caspar Wolf ( Vue de la vallée Aare), vespéral de Dahl ( étude de l'Elbe) moins profond et maîtrisé que Ender ( Glacier), à celui de Carus, plus sombre et dans les pas d'un Caspar Friedrich, auquel il est comparé au travers de sa Ruine sous la lune face à La grille du cimetière du grand peintre romantique : un tableau rare, puisque pour une fois non peint de mémoire depuis son atelier, mais in situ. Friedrich Nerly ( Cascade près de Subiaco) ressemble à Corot ( Clairière dans la forêt de fontainebleau), Daubigny autre tenant de l'école de Barbizon signe un Paysage près de Pontoise très sombre, qui introduit des oeuvres de Delacroix et son romantisme échevelé, notamment un Christ en croix et deux magnifiques sanguines, dont un Lion dévorant un sanglier affiche des airs de story-board de dessin animé. Découverte ici aussi que celle de Pierre Andrieu qui ne lui rend rien au niveau des descriptions animalières ( Tigre jouant) et signe d'ailleurs une Chasse au lion impressionniste.Les impressionnistes, que les Allemands admirent autant qu'ils jalousent et craignent, sont présents, notamment avec Pissarro, un Monet du début ( Bateaux, 1869), quelques Renoir (attendus : Une nature morte aux fruits, une Jeune fille aux bras levés, et un Paysage méditerranéen bleuté plus rare), un Théo van Rysselberghe ( Femme assise) habituel et deux raretés d'un autre compatriote, Henri van de Velde : un étonnant Paysage ensoleillé peint en 1888 évoquant van Gogh et une Vue de mer à Blankenberge, pointilliste, un an plus tard.Côté allemand, Max Liebermann est le représentant le plus convaincant de cette tendance ( Récréation dans un orphelinat d'Amsterdam), tandis qu'un Rudolf Tewes avec sa Nature morte évoque voire imite Cézanne, présent dans la même salle avec un Village derrière les arbres, tandis que Max Slevogt ( Maison de campagne à Godramstein) évoque les toiles lumineuses de Bonnard, accroché dans la section nabis ( Jeune femme avec un chat).Dans cette partie, Émile Bernard commet lui aussi avec La cafetière bleue un hommage à Cézanne, à côté d'un Louis Anquetin, Rafale de vent sur un pont de la Seine, d'un dégradé de bleu et blanc, qui évoque à la fois Spilliaert dans les tons et Toulouse-Lautrec dans la forme.Si les nabis français ont eu leur école, à Pont-Aven... les Allemands du Nord eurent aussi la leur à Worpswede, près de Brême : l'occasion de découvrir dans cette campagne tourbeuse, l'oeuvre magnifique et méconnue de Paula Modersohn-Becker ; à la fois d'un expressionnisme flamand ( Enfant d'une ferme de Worpswede), rappelant Cézanne dans ses natures mortes ( Nature morte au cocotier ) ou annonçant Die Brücke ( Crépuscule dans la campagne) en 1900 !Une section bien représentée avec une encre de chine ( Jeune fille nue au chat) de Kirchner, des têtes africaines de Nolde qui ressemble à du Hugo Pratt et, deux splendides tableaux différents de Karl Schmidt-Rottluff (La maison rouge et Une nature morte africaine, vibrants de couleurs. Peintre de la laideur, Otto Dix peint pourtant un beau portrait du peintre Franz Schulze. Max Beckmann possède quant à lui sa propre section, avec notamment un Schipol de 45 aux tons éclatants.Mais tout n'est pas bon dans cette exposition, par ailleurs impressionnante : par exemple, la comparaison Masson et Oelze fait sens... c'est moche ! Comme d'ailleurs les trois portraits de femmes de Picasso des années cinquante, d'une mièvrerie d'amourette.Comme quoi, si l'Espagnol est souvent garant de succès, il ne l'est pas toujours de qualité....