Suite au communiqué de presse faisant état de l'implantation d'une valve tricuspide par voie endovasculaire aux Cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles, le journal du Médecin a mené une interview sur le sujet. Rencontre avec la professeure le Professeure Joëlle Kefer, cardiologue interventionnelle au sein de l'Institut cardiovasculaire.
...
L'équipe multidisciplinaire de l'Institut cardiovasculaire comprend: ? La chirurgie cardiaque, qui travaille à coeur ouvert ; ? La cardiologie interventionnelle, qui permet de soigner le coeur au départ des artères et des veines, en naviguant dans les vaisseaux à l'aide de guides et de fines sondes (cathétérisme cardiaque, hyperspécialisation à laquelle se range notre interlocutrice ) ; ? La cardiologie générale (insuffisance cardiaque, rythmologie, imagerie, ...) ; ? Les soins intensifs cardiovasculaires. La franche et étroite collaboration des différents acteurs de cette équipe représente un véritable atout pour la prise en charge de patients complexes. Le journal du Médecin: Avec en ligne de mire les remplacements valvulaires aortique (Tavi) et tricuspidien, les accès et trajets pour l'arrivée sur site sont-ils semblables pour l'approche des coeurs gauche et droit? Pr Joëlle Kefer: Pour les deux circulations, l'accès et le trajet sont assez semblables: ponction au pli de l'aine, puis navigation jusqu'au coeur via les vaisseaux fémoraux - l'artère fémorale pour le Tavi, la veine fémorale pour la valve tricuspide. On peut donc affirmer qu'ils sont relativement équivalents, à cette nuance près que l'accès veineux se révèle plus sécurisant que l'artériel, avec moins de complications vasculaires. Pourquoi l'accès se fait-il toujours par les membres inférieurs, contrairement aux coronarographies pour lesquelles certaines équipes reconnues choisissent plutôt les membres supérieurs? C'est juste une question de calibre du matériel par rapport à celui des artères et des veines: aux membres supérieurs, les vaisseaux ont un diamètre de 2 à 3 mm ; aux membres inférieurs, ce diamètre égale 7 à 10 mm. Dans l'équipe pluridisciplinaire évoquée en début d'entretien, qui fait quoi? Existe-t-il des interventions spécifiquement dévolues? Le coeur droit est généralement pris en charge par les médecins habitués au traitement des cardiopathies congénitales. La valve pulmonaire est beaucoup plus souvent abordée que la valve tricuspide dont le traitement fait plutôt exception - on parle de la "valve oubliée". Le coeur gauche est surtout l'affaire des "cathétériseurs" qui, outre l'implantation des valves aortiques (Tavi), gèrent aussi les pathologies coronariennes. Un gold standard en devenir À terme, la cardiologie interventionnelle pourrait-elle supplanter la chirurgie cardiaque classique (avec thoracotomie et mise en circulation extra-corporelle) pour le remplacement valvulaire tricuspide? Le remplacement valvulaire tricuspide relève d'une chirurgie cardiaque difficile, grevée d'une morbi-mortalité de 8 à 10%. En effet, l'atteinte du coeur droit signe généralement une atteinte terminale qui implique un besoin d'aide et de support paramédical multiple (avec infirmières, aide-soignantes et kinés à domicile ou placement en MRS). Il existe donc un réel intérêt à agir plus précocement, avant d'être passé à un stade ultime qui impose le recours d'office à la chirurgie thoracique. Comme le seul traitement médical de l'insuffisance cardiaque droite induite par une insuffisance tricuspide repose sur les diurétiques (diminution de la précharge), il y a donc une place pour le cathétérisme, auquel on donnera même la primeur chez le patient âgé de plus de 75 ans. À terme, la cardiologie interventionnelle devrait effectivement s'imposer puisqu'elle permet, à moindre risque, une amélioration de la qualité et de l'espérance de vie. Pourrait-on affirmer qu'à terme, le cathétérisme deviendra le gold standard pour l'implantation de la valve tricuspide? Assurément! Encore quelques précisions, si vous le permettez, sur la composition des valves implantées, le traitement d'accompagnement de l'implantation valvulaire et l'imagerie utilisée durant l'intervention... D'abord un mot sur la composition de la valve Topaz, qu'on utilise pour l'intervention. Il s'agit d'une structure métallique d'un diamètre de 45 mm constituée d'un double stent. Le stent extérieur a une charpente assez souple pour se conformer à la morphologie de l'anneau tricuspide. Le stent intérieur est une structure rigide et non déformable, dans laquelle on a cousu trois feuillets symétriques de péricarde porcin qui s'ouvrent et se ferment à chaque contraction cardiaque. Ces valves sont fabriquées par des firmes hyperspécialisées. Le traitement d'accompagnement de l'implantation valvulaire fait appel soit à un traitement anticoagulant déjà présent pour fibrillation auriculaire préexistante, soit à l'ajout d'un anti-agrégant plaquettaire à faible dose (ASA/clopidogrel). En ce qui concerne l'imagerie utilisée, signalons que durant l'implantation, le guidage s'effectue à l'aide d'une échographie cardiaque transoesophagienne, réalisée par des cardiologues hyperspécialisés dans l'échoguidage interventionnel. Cela permet une réduction drastique de l'utilisation de rayons X, ce qui est idéal sur le plan de la radioprotection.