Le journal du Médecin: Quel est l'intérêt de ce genre d'analyse?

Éric Muraille: L'intérêt est de trouver une recette pour mieux faire face aux menaces globales. On parle ici du Covid, mais il ne s'agit que d'une menace globale mineure parmi d'autres, comme le changement climatique ou la pollution atmosphérique. Des menaces qui, somme toute, sont assez nouvelles dans l'histoire de l'humanité.

Il faut pouvoir y répondre de manière efficace, et à défaut, anticiper. Le Covid représente en quelque sorte un test grandeur nature. Et on peut dire que nous nous sommes largement plantés. Il ne faut cependant pas pointer la Belgique du doigt mais plutôt l'Europe. C'est l'absence de politique sanitaire européenne qui est en cause, de la même manière qu'il n'existe pas de politique sanitaire fédérale aux États-Unis, sauf état de crise.

Qu'est-ce qui explique cet échec, malgré le fait que nous avions les moyens de contrer la propagation du virus?

Certains journaux - dont le Lancet, le New England Journal of Medecine - ont mis en avant le problème du leadership, en accusant clairement des personnalités telles que Trump et Bolsonaro. Ce n'est pas faux, mais la problématique ne se limite pas à ça. Aux États-Unis, chaque État a géré la crise à sa manière. Et il n'y a pas de figures telles que Trump et Bolsonaro en Europe.

D'autres hypothèses sont avancées. Certains avancent que les démocraties ont plus de mal à gérer de telles menaces par rapport aux régimes autoritaires. Si l'on prend les cas de la Turquie et de l'Iran, ces pays ne s'en sont pas bien tirés du tout. Avec des variantes dans la gestion. La Turquie a réagi très vite alors que l'Iran a attendu. Mais dans les deux cas, il y a eu des problèmes d'application des règles produites de manière autoritaire. Il y a également eu une série d'exceptions liées à la religion. L'autoritarisme permet certes de prendre des décisions rapides, mais ces décisions ne sont généralement pas guidées par la science. Et l'adhésion de la population est plus faible, notamment à cause du manque de transparence.

Autre point intéressant: les pays collectivistes ont mieux réussi à gérer la pandémie que les pays individualistes. L'acceptation des mesures qui impliquent un sacrifice individuel est beaucoup plus grande dans ces pays. On peut également penser que les moyens technologiques et financiers à disposition sont indispensables. Or, ce n'est en tout cas pas suffisant. Si l'on fait les classements économiques, la Nouvelle-Zélande, qui a bien géré la crise, n'est pas dans les leaders mondiaux.

En résumé, ce n'est pas un problème de moyens, ou d'expertise, mais un problème de gouvernance. Les pays qui s'en sont le mieux sortis sont ceux qui ont eu une politique guidée par la science, avec une capacité de développer un effort collectif et une réaction rapide. Le sens des priorités est donc également important.

Vous parliez d'anticipation, est-ce que nous étions prêts à faire face à cette épidémie?

Aucun plan n'existe, en Belgique, pour faire face à une pandémie de cet ordre. Ce qui veut dire que nous n'avons aucune anticipation du risque. Il y a même un problème d'ordre législatif. Le confinement obligatoire, la quarantaine, le suivi de contacts sont des points qui doivent être préparés en amont également sur le plan législatif.

Il y a des raisons d'espérer que désormais, les autorités aient compris l'intérêt d'anticiper ces pandémies?

Je ne suis pas sûr. Le Sars Cov 1 et la grippe H1N1 n'ont pas fait bouger les lignes. Bien que le coût de la prévention soit 1.000 fois plus élevé que celui du traitement.

La vaccination est l'élément clé du contrôle des pandémies virales, mais ce n'est pas un élément suffisant. Il faut continuer à avoir un processus de surveillance, à mixer les stratégies de quarantaine, de détection et de traitement.

On commence à savoir quels agents pathogènes il faut surveiller, c'est-à-dire surtout des virus ARN car ils s'adaptent très vite. On sait qu'il faut surveiller la population en contact avec les élevages. On sait que ces agents pathogènes ne sont pas de suite contagieux, ce qui permet d'agir pour bloquer une éventuelle épidémie. Quand on anticipe, on peut agir sur de petits nombres d'individus. Et on n'est pas obligé de produire des milliards de doses de vaccins. Quelques millions de doses suffisent, ce que nous sommes tout à fait capables de faire avec nos capacités actuelles.

L'anticipation et la prévention permettent une réduction des coûts d'échelle évidente. Nous avons le cadre conceptuel, mais nous en revenons à un problème de gouvernance, de choix de priorités.

On peut conclure que nous sommes scientifiquement prêts, politiquement moins?

C'est dangereux de dire que nous sommes scientifiquement prêts. Nous avons eu la chance d'être face à un agent pathogène qui n'a pas tellement de stratégies d'échappement et la science actuelle a permis d'y répondre. Le vaccin Pfizer a été "designé" en deux jours. Il n'y a pas eu de recherche contre cet agent pathogène. On a juste pris sa séquence, on l'a adapté et on s'est basé sur ce qui était connu jusqu'à présent pour faire ce vaccin. Si on avait dû faire des recherches, le vaccin aurait mis des années à être développé. Pour toute une série d'agents pathogènes, on essaye d'améliorer les vaccins depuis plus d'un siècle. C'est le cas de la tuberculose par exemple.

Le journal du Médecin: Quel est l'intérêt de ce genre d'analyse? Éric Muraille: L'intérêt est de trouver une recette pour mieux faire face aux menaces globales. On parle ici du Covid, mais il ne s'agit que d'une menace globale mineure parmi d'autres, comme le changement climatique ou la pollution atmosphérique. Des menaces qui, somme toute, sont assez nouvelles dans l'histoire de l'humanité. Il faut pouvoir y répondre de manière efficace, et à défaut, anticiper. Le Covid représente en quelque sorte un test grandeur nature. Et on peut dire que nous nous sommes largement plantés. Il ne faut cependant pas pointer la Belgique du doigt mais plutôt l'Europe. C'est l'absence de politique sanitaire européenne qui est en cause, de la même manière qu'il n'existe pas de politique sanitaire fédérale aux États-Unis, sauf état de crise. Qu'est-ce qui explique cet échec, malgré le fait que nous avions les moyens de contrer la propagation du virus? Certains journaux - dont le Lancet, le New England Journal of Medecine - ont mis en avant le problème du leadership, en accusant clairement des personnalités telles que Trump et Bolsonaro. Ce n'est pas faux, mais la problématique ne se limite pas à ça. Aux États-Unis, chaque État a géré la crise à sa manière. Et il n'y a pas de figures telles que Trump et Bolsonaro en Europe. D'autres hypothèses sont avancées. Certains avancent que les démocraties ont plus de mal à gérer de telles menaces par rapport aux régimes autoritaires. Si l'on prend les cas de la Turquie et de l'Iran, ces pays ne s'en sont pas bien tirés du tout. Avec des variantes dans la gestion. La Turquie a réagi très vite alors que l'Iran a attendu. Mais dans les deux cas, il y a eu des problèmes d'application des règles produites de manière autoritaire. Il y a également eu une série d'exceptions liées à la religion. L'autoritarisme permet certes de prendre des décisions rapides, mais ces décisions ne sont généralement pas guidées par la science. Et l'adhésion de la population est plus faible, notamment à cause du manque de transparence. Autre point intéressant: les pays collectivistes ont mieux réussi à gérer la pandémie que les pays individualistes. L'acceptation des mesures qui impliquent un sacrifice individuel est beaucoup plus grande dans ces pays. On peut également penser que les moyens technologiques et financiers à disposition sont indispensables. Or, ce n'est en tout cas pas suffisant. Si l'on fait les classements économiques, la Nouvelle-Zélande, qui a bien géré la crise, n'est pas dans les leaders mondiaux. En résumé, ce n'est pas un problème de moyens, ou d'expertise, mais un problème de gouvernance. Les pays qui s'en sont le mieux sortis sont ceux qui ont eu une politique guidée par la science, avec une capacité de développer un effort collectif et une réaction rapide. Le sens des priorités est donc également important. Vous parliez d'anticipation, est-ce que nous étions prêts à faire face à cette épidémie? Aucun plan n'existe, en Belgique, pour faire face à une pandémie de cet ordre. Ce qui veut dire que nous n'avons aucune anticipation du risque. Il y a même un problème d'ordre législatif. Le confinement obligatoire, la quarantaine, le suivi de contacts sont des points qui doivent être préparés en amont également sur le plan législatif. Il y a des raisons d'espérer que désormais, les autorités aient compris l'intérêt d'anticiper ces pandémies? Je ne suis pas sûr. Le Sars Cov 1 et la grippe H1N1 n'ont pas fait bouger les lignes. Bien que le coût de la prévention soit 1.000 fois plus élevé que celui du traitement. La vaccination est l'élément clé du contrôle des pandémies virales, mais ce n'est pas un élément suffisant. Il faut continuer à avoir un processus de surveillance, à mixer les stratégies de quarantaine, de détection et de traitement. On commence à savoir quels agents pathogènes il faut surveiller, c'est-à-dire surtout des virus ARN car ils s'adaptent très vite. On sait qu'il faut surveiller la population en contact avec les élevages. On sait que ces agents pathogènes ne sont pas de suite contagieux, ce qui permet d'agir pour bloquer une éventuelle épidémie. Quand on anticipe, on peut agir sur de petits nombres d'individus. Et on n'est pas obligé de produire des milliards de doses de vaccins. Quelques millions de doses suffisent, ce que nous sommes tout à fait capables de faire avec nos capacités actuelles. L'anticipation et la prévention permettent une réduction des coûts d'échelle évidente. Nous avons le cadre conceptuel, mais nous en revenons à un problème de gouvernance, de choix de priorités. On peut conclure que nous sommes scientifiquement prêts, politiquement moins? C'est dangereux de dire que nous sommes scientifiquement prêts. Nous avons eu la chance d'être face à un agent pathogène qui n'a pas tellement de stratégies d'échappement et la science actuelle a permis d'y répondre. Le vaccin Pfizer a été "designé" en deux jours. Il n'y a pas eu de recherche contre cet agent pathogène. On a juste pris sa séquence, on l'a adapté et on s'est basé sur ce qui était connu jusqu'à présent pour faire ce vaccin. Si on avait dû faire des recherches, le vaccin aurait mis des années à être développé. Pour toute une série d'agents pathogènes, on essaye d'améliorer les vaccins depuis plus d'un siècle. C'est le cas de la tuberculose par exemple.