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600ans que cette collection constituée par Philippe le Bon se cache à Bruxelles dans les vestiges de l'ancien palais Nassau. Des 900 manuscrits enluminés présents à l'époque du duc de Bourgogne, il en reste 300 : le temps, les pillages, " emprunts divers " ont eu la peau (d'animal) du reste. Tout de même, le tiers restant a résisté à l'incendie de l'édifice, à deux Guerres mondiales et quelques inondations... Aujourd'hui, ces empires de lumières à eux seuls bénéficient enfin de l'enluminure qu'ils méritaient. Sur deux étages, la Bibliothèque royale leur a désormais réservé un véritable écrin, plongé dans une pénombre trahissant la ferveur que ces merveilles suscitent. Ce grand livre s'ouvre sur la chapelle Nassau, unique et dernier témoin de l'édifice de la fin du Moyen Âge où, dans une vidéo reprenant des images graphiques des livres précieux, est contée l'histoire de cette fabuleuse collection initiée par Philippe le Hardi et son épouse Marguerite, et poursuivie par Philippe le Bon. Histoire racontée par Christine de Pizan, elle-même copiste de la fin de l'époque médiévale et dont on retrouve quelques merveilleux ouvrages plus loin. Au décor planté par quelques exemples de tableaux, objets religieux et déjà vieux grimoires afin de démontrer le caractère éminemment religieux de cette fin du Moyen Âge, succède au travers toujours d'une combinaison de témoignages, peintures, sculptures et bien sûr livres précieux, dans une ambiance d'un clair-obscur destiné à la protection de ces livres fragiles (qui feront l'objet d'une tournante tous les trimestres), une mise en contexte historique : ceci pour expliquer l'émergence du travail enluminé par des laïcs dans un cadre urbain - et plus seulement par des moines au sein d'abbayes, dans le riche duché de Bourgogne, puissance équivalente à l'époque aux royaumes de France ou d'Angleterre. La présentation d'armes, tableaux et manuscrits ouverts, se fait également à l'aide de récits sonores, de tables tactiles, voire de tablettes qui permettent de parcourir virtuellement les ouvrages présentés. Dans une déambulation fluide, l'on découvre, à nouveau au travers de l'oeil de la copiste parisienne, le mode de fabrication de ces trésors, les couleurs utilisées (le très précieux lapis-lazuli pour le bleu, le safran dans le cas du jaune...), la préférence du parchemin plus précieux par rapport au papier déjà pourtant connu ou l'art de la reliure : l'occasion notamment de découvrir un parchemin teinté de 810 de notre ère, L'évangéliaire de Xanten datant de l'époque de Charlemagne et dont le dessin est d'une étonnante modernité. La scénographie se révèle par ailleurs réellement interactive, puisqu'une table lumineuse invite à s'essayer à l'art difficile du copiste. Un vrai travail de bénédictin en effet ! La mise en place muséale qui offre divers approchent des plus approfondies (en activant les tablettes), en mode découverte pour le visiteur lambda ou ludique pour les plus jeunes, enlumine dans ce parcours aérien des trésors comme un traité de médecine du 9e siècle ! de Soranos d'Éphèse (la page choisie concerne l'obstétrique) et un autre, plus détaillé bien sûr (mais pas forcément plus savant), du 15e décrivant un corps humain et ses humeurs. La musique qui accompagne la déambulation date elle aussi du 15e siècle : l'on peut par exemple découvrir un antiphonaire consacré à la musique de Josquin des Prez tout en écoutant sa production. Et si les ouvrages sont souvent religieux (livres d'heures, de prières, bréviaire...) notamment la Rijmbijbel de Jacob van Maerlant, la formidable oeuvre de Simon Marmion - Les sept âges du monde ouvert sur le tableau du paradis terrestre qui appartint à la famille de Croÿ (un artiste auteur également d'un Christ et une Vierge de piété sous forme de tableaux criant de vérité montrés dans le musée) - l'on trouve également nombre de livres profanes, tel que le Roman de la Rose, ainsi que deux épisodes perdus du Roman de Renard et des fables de Walter l'Anglais. Parfois l'émotion surgit à la vision de simples croquis exécutés dans un carnet, notamment dans le cas du Mémoriam d'Antonio de Succa. Enfin, le deuxième étage constitue le Saint des Saints (même si l'on a quitté la chapelle) : la bibliothèque familiale des ducs de Bourgogne. Y sont présentés des ouvrages également remarquables, démontrant l'intérêt pour l'histoire des ducs, qu'il s'agisse de La vie de Charles Martel (en plusieurs volumes), du Psautier de Peterborough ou encore des Chroniques et conquêtes de Charlemaine par David Aubert : comportant deux tomes enluminés, elles se distinguent par le fait qu'elles sont illustrées uniquement de grisé. Volonté de Philippe le Bon d'imposer à la cour une mode, notamment vestimentaire : celle du noir et blanc. Parmi les quinze " incunables " de cette bibliothèque, celui, en noir et blanc encore, que constitue Le roman de Gérard de Nevers, entièrement en encre et aquarelle et signé Jean de Wavrin : il décore l'un des quatre cocons du coeur muséal, permettant une immersion dans l'époque et l'ouvrage. Et pour cause, puisque dans cette alcôve circulaire, outre sa présentation "physique", les images du livre sont désormais animées sur écran et constituent un vrai film muet quasi... noir et blanc. Dans les autres cocons sont évoqués le bestiaire extraordinaire et les images fantastiques qui peuplent certains de ces ouvrages : sont montrés le combat d'Alexandre et la bête à trois cornes, et projetées au plafond des vues du cosmos ou un ballet de créatures fantastiques, toutes tirées bien sûr des ouvrages enluminés présents dans les collections. Fantastique également, l'évocation des animaux chassés et de leurs symboles dans les manuscrits enluminés, notamment Les livres du Roy Modus et de la Royne Ratio dont sont exposés les folios originaux : le loup y étant notamment associé au Diable ; le lapin quant à lui, du fait de son nom latin cuniculus, est associé à la licence et donc au sexe féminin... de par sa proximité orthographique... Enfin, le dernier cocon évoque l'histoire du Hainaut récemment conquis par Philippe le Bon, lequel demanda au libraire et copiste montois Jean Wauquelin de traduire du latin en français les annales historiae illustrium principum Hannoniae de Jacques de Guise. Ces Chroniques de Hainaut, livre majestueux s'il en est, furent notamment illustrées par Roger de la Pasture (Rogier van der Weyden) qui signe la remise de l'ouvrage par le libraire au duc en habit d'apparat, noir bien sûr, portant la Toison d'or (que l'on peu voir dans l'expo). Une merveille d'image, transposée sous forme de diaporama instructif et mobile décrivant les personnages de la scène. À n'en point douter, le souverain bourguignon serait comblé par la magnificence avec laquelle est mise en valeur aujourd'hui sa fabuleuse collection. - La Librairie des ducs de Bourgogne à La Bibliothèque royale de Belgique, Mont des Arts 28 à 1000 Bruxelles. Www.kbr.be ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18H. Entrée : 11?. Gratuit en dessous de 18 ans - La fureur de lire 2020 se déroulera du 14 au 18 octobre et aura pour thème Lectures et territoires. www.fureurdelire.cfwb.be