La prévalence de l'embolie pulmonaire (EP), lorsqu'elle est suspectée au départ d'un nouveau cas potentiel, semble avoir baissé depuis une vingtaine d'années en Europe et aux États-Unis notamment. Pourtant, elle y reste la troisième cause de mortalité cardiovasculaire. Mais derrière cette apparente bonne nouvelle se cache un défi diagnostique, comme l'expliquait la Pre Andrea Penaloza (Cliniques Saint-Luc, UCLouvain) dans un exposé tenu dans le cadre du congrès 2022 Back to Med School [1].
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"Ce défi diagnostique tient dans le fait que la détermination des signes cliniques pouvant amener à suspecter une EP reste très subjective", précise la spécialiste. "Il s'agit avant tout d'une dyspnée ou d'une douleur thoracique d'apparition (ou d'aggravation) récente et sans autre explication 'évidente' qu'une éventuelle EP. Or, c'est justement dans le terme 'évident' que réside la subjectivité, car ce qui semble évident pour un médecin donné ne l'est pas nécessairement pour un autre.Le nombre de cas à suspecter est élevé, car les symptômes et la clinique de l'EP sont très peu spécifiques." Suspecter trop souvent une EP peut être à l'origine de plaintes médico-légales, certains patients affichant une tolérance quasi nulle pour l'erreur médicale et les examens jugés (souvent a posteriori) inutiles. A l'inverse, ne pas la suspecter suffisamment peut évidemment engendrer des problèmes peu ou prou équivalents et, surtout, augmenter la morbi-mortalité. La proportion de cas d'EP détectés n'a baissé qu'artificiellement, explique Andrea Penaloza. "En fait, c'est le dénominateur qui a augmenté en Occident, à savoir le taux de suspicions et donc le nombre d'examens induits qui a fortement augmenté. L'incidence est relativement stable: il y a plus ou moins autant de cas d'EP qu'auparavant." Les pistes principales d'amélioration de cette situation consistent dans la limitation: ? Des démarches diagnostiques, en optimisant les critères de suspicion clinique. ? De la prescription d'examens d'imagerie irradiante, en optimisant le recours au dosage des D-dimères (à noter qu'actuellement la RMN n'a pas sa place dans le diagnostic de l'EP, par manque de sensibilité). L'algorithme YEARS peut s'utiliser chez les patients âgés d'au moins 18 ans et en bonne santé générale. Il comprend trois critères: des signes cliniques de thrombose veineuse profonde, une hémoptysie et une EP comme "diagnostic le plus probable". À titre d'exemple, lorsqu'ils sont tous trois réunis, un taux de D-dimères < 500 ng/ml permettrait d'exclure le diagnostic d'EP (le risque en serait négligeable). Par contre, avec un taux ? 500 ng/ml, il est recommandé de réaliser un CT-scan [2]. On peut également citer la règle de PERC, validée aux États-Unis, et dont des études réalisées en Europe ont également montré l'intérêt (tableau 1 ci-dessus). Par ailleurs, il est actuellement recommandé d'oublier le seuil/plafond de 500 ng/ml pour le taux de D-dimères et de l'adapter en fonction de l'âge. Une étude suisse a en effet permis d'améliorer la valeur prédictive de ce chiffre par une règle très simple: multiplier l'âge du patient par dix. Ainsi, pour un patient âgé de 63 ans par exemple, le taux pivot sera de 630 ng/ml. Associée à une équipe du CHU d'Angers, celle d'Andrea Penaloza a élaboré un nouveau score, appelé 4-PEPS (Pulmonary Embolism Probability Score) et basé sur 13 critères [3]. D'après les études d'évaluation disponibles, l'utilisation de ce score permet de diminuer d'environ un quart le nombre de CT-scans et de scintigraphies inutiles. Depuis septembre dernier, Google Play en propose une version pour les smartphones fonctionnant sous Androïd (tableau 2 ci-dessous). Deux scores (sPESI et HESTIA) peuvent aider le médecin hospitalier pour évaluer le risque lié au retour du patient au domicile [4]. "L'efficience des deux stratégies n'est pas significativement différente en regard du taux de patients traités en ambulatoire", explique Andrea Penaloza. "Pour sélectionner les patients ayant une EP sans critère de gravité en vue d'un traitement ambulatoire, la sécurité de la stratégie basée sur la règle pragmatique HESTIA n'est pas inférieure à celle de la stratégie basée sur le score de mortalité sPESI en termes de complications graves à un mois. La stratégie HESTIA identifie moins de patients comme éligibles au traitement ambulatoire mais, par contre, son applicabilité est meilleure, le médecin étant moins souvent amené (pour différentes raisons liées notamment au sens clinique face à un patient donné) à surpasser la règle HESTIA que le score sPESI. Au bout du compte, avec l'une ou l'autre de ces deux stratégies, plus du tiers des patients EP peuvent être traités à domicile, avec un très faible taux de complications."