...

Tom Van De Putte est co-fondateur de Bingli. Sa promesse : améliorer l'empathie des consultations médicales. Son moyen : une chatbox, anglicisme désignant un robot doté d'une intelligence artificielle capable de participer à une conversation en langage humain. " La technologie permet aujourd'hui d'imiter l'intelligence humaine ", détaille le néerlandophone. " Dans notre cas, le but est de mimer la réflexion du médecin. "L'IA n'en est pas à ses prémices. On connaît ses capacités depuis 1958 et les premiers programmes capables de jouer des parties complètes d'échecs. Depuis, la technologie a évolué, si bien que la Food and drug administration (FDA) a jusqu'à présent approuvé 75 technologies basées sur des algorithmes utilisant l'intelligence artificielle. Et l'évolution est bel et bien en marche : de deux technologies seulement en 2017, la FDA est passée à une ou deux approbations par mois en 2018. Une croissance exponentielle qui concerne plusieurs domaines : la prévention (infections nosocomiales), le diagnostic (cardiologie, radiologie), le traitement, le suivi et le domaine administratif." L'intelligence artificielle est une réelle plus-value pour le secteur de la santé ", estime Tom Van De Putte qui met en avant le gain de temps potentiel pour le médecin dans la pose du diagnostic. " L'homme a ses limites quand il s'agit de gérer l'information. Les algorithmes ont l'avantage d'élargir le spectre, de rester objectif - de ne pas souffrir de l'influence du patient - et d'être plus rapide que le cerveau humain. "Partant de ce constat, l'homme prône le postulat suivant : l'IA permet, grâce aux algorithmes, de mieux écouter le patient.L'affirmation laisse songeur tant la corrélation est facile : intelligence artificielle veut forcément dire déshumanisation. Or, à y regarder de plus près, c'est tout l'inverse. " La gestion du temps est aujourd'hui le nerf de la guerre pour le médecin ", avance Tom Van De Putte. " En Europe, en moyenne, un patient est interrompu par son médecin après 11 secondes. C'est que son temps est limité et que le patient ne va pas assez rapidement à l'essentiel. " Et encore, en Belgique, patients et médecins sont choyés vu que la durée d'une consultation moyenne est de 15 minutes. Nos voisins néerlandais ne bénéficient eux que de neuf minutes en moyenne. En Allemagne, sept minutes. En Chine, trois minutes.C'est là que l'IA entre en jeu : Bingli, par exemple, permet de faire l'anamnèse du patient en amont de la consultation, idéalement quand il est encore à son domicile. " L'objectif est d'améliorer l'empathie en consultation. Comment ? En allégeant le fardeau administratif des médecins. Ce temps gagné permet au médecin de faire ce que seul un être humain peut faire : utiliser son intuition, coacher le patient, être empathique à son égard. "La chatbox de Bingli permet aujourd'hui de recenser des données qualitatives par l'analyse de l'anamnèse réalisée en amont de la visite chez le médecin ou à l'hôpital. Par le biais d'un questionnaire, le logiciel propose au médecin une série de diagnostics différentiels avec un taux de probabilité pour chacun d'entre eux. Une sorte d'aide au diagnostic en somme. De plus, l'information référencée par Bingli est déjà structurée pour l'implémentation dans les DMI, d'où le gain de temps pour le médecin dans son travail administratif.Dans les hôpitaux également, la chatbox permet un gain de temps. " Nous nous intéressons aux questionnaires préopératoires en anesthésie, en orthopédie ", indique le co-fondateur de la start-up belge. " L'intérêt pour le prestataire est double : réaliser un tri des patients (seulement 20% des patients consultés se font opérés en chirurgie de la hanche par exemple), et identifier les urgences. " Ici aussi, le questionnaire est prêt à être importé directement dans le DMI.Le patient y voit également un intérêt puisque cela lui permet de s'occuper en salle d'attente.Les tenants et les aboutissants maîtrisés, reste la question du fonctionnement concret de la chatbox. " Il s'agit d'une application qui fonctionne sur invitation ", détaille Tom Van De Putte. " Le patient ne peut donc l'utiliser sans prescription de la part d'un prestataire. "L'application ouverte, le patient tombe sur un questionnaire, qui au fil des réponses passe de questions ouvertes à des questions de plus en plus précises, histoire d'affiner le diagnostic et proposer les meilleures probabilités (voir illustration). Le logiciel comprend les dialectes de trois langues (néerlandais, français, anglais). Pour ce qui est des questionnaires plus spécifiques (préopératoires notamment), ils sont disponibles en 15 langues. " Vu que tout est codé en SNOMED CT, cela permet à un patient turcophone à Bruxelles d'exprimer ses symptômes dans sa langue et au médecin de lire le rapport dans la sienne. "Le médecin reçoit quant à lui un rapport avec un récapitulatif de l'anamnèse, le profil du patient, des diagnostics différentiels assortis d'un taux de probabilité pour chacun d'entre eux. Le médecin peut également effectuer un retour vers Bingli, ce qui permet d'améliorer l'algorithme de la chatbox. Enfin, toute l'information est facilement exportable vers le DMI.L'exemple Bingli prouve que l'IA permet de gagner du temps. Quatre minutes de temps d'anamnèse et deux minutes de temps de codage par patient, promet la firme belge. Côté hospitalier, sur 10.000 interventions en anesthésies réalisées, le questionnaire préopératoire permet de remplacer le travail effectué par deux infirmières, sans compter le travail de codeurs parfois nécessaire pour implémenter les données dans les DMI.Si on est curieux de voir un médecin s'approprier l'application, on est également curieux de voir si ce temps gagné servira effectivement à une approche davantage empathique du médecin, centrée sur le patient. Il faut également imaginer, libéralisation de la médecine oblige, la volonté chez certains de faire grossir la patientèle pour augmenter les revenus. Quel que soit le business model choisi par le médecin, l'IA offre la possibilité à la profession de se réapproprier la gestion de son emploi du temps.