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Dans le monde financier, on a coutume d'affirmer que, sur le long terme, la trajectoire des taux d'intérêt est aussi importante que celle des bénéfices des entreprises. Une belle démonstration en a été donnée durant les années 80 et 90. Prenons une référence internationale: l'indice Standard & Poors 500 de la bourse américaine. De son tréfonds de 1982 à son sommet de l'été 2000, il a été multiplié par 7,5. Une performance exceptionnelle! L'envol des bénéfices avait trouvé un allié de poids: la chute des taux d'intérêt, plus précisément le taux à long terme, c'est-à-dire celui affiché par les obligations d'État à dix ans. Il est, grosso modo, revenu de 14% à 6%. Une fameuse dégringolade! Un phénomène inverse et tristement spectaculaire est survenu tout récemment, en 2022. On se souvient de l'envolée des prix de l'énergie et, plus globalement, de l'inflation. On a dans la foulée assisté à une forte hausse du taux à dix ans, puisque l'évolution des taux à long terme se calque largement sur celle de l'inflation. En Belgique, ce taux est passé de... 0 à 3,2%. Une véritable explosion, tant le décor fut bouleversé en très peu de temps. Conséquence: la chute des actions sensibles aux taux d'intérêt. Certaines valeurs immobilières ont perdu la moitié de leur valeur. Autre compartiment fort touché: les entreprises technologiques en forte croissance. Celles qui jouent les divas ces dernières années furent alors fameusement malmenées, voire massacrées: le cours d'Amazon chuta de moitié et celui de Tesla de deux tiers! L'autre élément à suivre par l'investisseur est le contexte économique: va-t-on vers une récession, ou l'activité est-elle au contraire en train de rebondir? Il va de soi que les perspectives bénéficiaires des entreprises s'assombrissent dans le premier cas et s'éclaircissent dans le second. On doit objectivement ajouter que ceci peut trouver une petite compensation dans le fait que les taux d'intérêt vont normalement fléchir dans le premier scénario, ce qui est positif pour les actions, et au contraire se raffermir dans le second, ce qui est plutôt négatif. Cette compensation est toutefois très faible. C'est surtout l'investisseur en obligations qui sera concerné par cette évolution des taux. Ici non plus, il ne faut pas remonter loin en arrière pour en trouver une illustration. Le 5 août dernier, la bourse américaine a perdu 3% quand un indicateur économique a été jugé inquiétant au point que certains ont aussitôt -et un peu sottement- évoqué le spectre d'une récession. L'activité économique des États-Unis restant actuellement assez soutenue, une récession constituerait un atterrissage en catastrophe, un krach landing dans le vocable très en vogue là-bas. L'expression est surtout utilisée pour désigner la sortie d'un épisode de forte inflation, comme c'est bien le cas aujourd'hui. Ce krach landing a plus d'une fois été redouté, les espoirs portant évidemment sur un soft landing, ou atterrissage en douceur. Très imagées, ces expressions sont aussi très explicites. Un atterrissage en douceur, c'est une économie qui se calme progressivement, sans chocs pour les entreprises et les consommateurs, qui peuvent s'adapter. Le scénario de soft landing l'emporte assez largement depuis un bout de temps. Les signes de ralentissement demeurent toutefois limités, tandis que certains chiffres reprennent un peu de vigueur. Les économistes ont dès lors mis en vedette un autre scénario et une expression nouvelle: le no landing. Pas d'atterrissage donc, on l'a compris. Premier élément: l'activité économique ne faiblit guère, voire pas du tout. La croissance américaine s'est en effet établie à 3% (recalculée en rythme annuel) au deuxième trimestre, ce qui peut être qualifié de soutenu. La première estimation de la croissance du troisième trimestre est pour sa part de 2,8%, soit légèrement inférieure au consensus qui ressortait à 3%. Ceci étant en partie conséquence de cela, l'inflation a largement quitté ses sommets, mais ne s'inscrit plus vraiment en chute: elle affiche 2,4% pour le mois de septembre, contre 3,1% en janvier, certes, mais l'inflation qualifiée de "sous-jacente", souvent jugée plus pertinente, reste supérieure à 3%. Troisième élément: le marché du travail. Aux États-Unis, il se mesure surtout par le nombre de créations d'emplois. C'est le chiffre très bas du mois de juillet, à savoir 144.000 unités, qui avait nourri le spectre d'une récession. Ce chiffre s'est normalisé en août et a même pointé à 254.000 en septembre, écartant temporairement ce scénario négatif. Le mois d'octobre vient néanmoins contrecarrer cette perspective de reprise avec fracas: avec seulement 12.000 emplois créés, les États-Unis trébuchent pour retrouver leur rythme le plus faible depuis fin 2020! Autant le soft landing était présenté comme l'idéal par rapport au hard landing, autant le no landing est aujourd'hui encensé par les stratégistes. Il est vrai que ceci retardera peut-être, voire sans doute, les baisses de taux à court terme par la banque centrale américaine, mais ce n'est pas très grave, jugent-ils. Ce scénario signifie surtout que les entreprises profitent d'une bonne conjoncture, ce qui favorise leurs marges bénéficiaires. Bonne nouvelle donc: on n'atterrit pas!