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L'apparition et la gestion de la pandémie de Covid ont montré les faiblesses de notre système de santé, tant d'un point de vue national qu'international. D'un point de vue santé publique, c'est un constat d'échec qui prédomine. "Malgré l'apparition de nombreuses organisations internationales, dont l'OMS, nos sociétés sont devenues plus fragiles face aux épidémies", explique Éric Muraille, maître de recherches FNRS, rattaché au Laboratoire de parasitologie de l'ULB, qui a écrit un article sur le sujet en octobre dernier dans la revue Éducation santé1. Le chercheur cite plusieurs exemples, parmi lesquels le sous-financement et la gestion managériale de la recherche fondamentale ainsi que des services de santé, dénoncés depuis de nombreuses années. "Les chercheurs sont précarisés et les réseaux coopératifs entre équipes de recherche fragilisés. Cette situation ne favorise pas le maintien des compétences et l'exploration de nouveaux domaines de recherche pouvant contribuer à mieux connaître les agents infectieux émergents et à identifier les nouvelles menaces. La pratique du flux tendu dans les hôpitaux est devenue la norme, ce qui réduit leur capacité à faire face à des crises sanitaires majeures."De nombreux experts ont également pointé la gestion chaotique et souvent inefficace de la pandémie. La réponse a souvent été trop tardive, et chaque gouvernement a agi seul, sans coordination internationale. "Ces échecs ont conduit les éditeurs de revues scientifiques réputées, telles que The Lancet et The New England Journal of Medicine , à condamner fermement la gestion politique de la pandémie de Covid-19 en Europe et aux USA. L'OMS a également fréquemment fustigé la trop faible réactivité de nombreux gouvernements dans la lutte contre la pandémie", rappelle Éric Muraille. "Ces échecs démontrent la nécessité de changer drastiquement de stratégie de santé publique face aux menaces globales. Une stratégie réactive est très coûteuse, difficile à mettre en oeuvre dans l'urgence et à faire accepter par la population. Il est donc indispensable de tenter d'anticiper ces menaces et surtout de les prévenir en agissant sur les conditions favorisant leur émergence. C'est ce que prône la nouvelle approche de la santé publique One Health ."One Health"fait référence à la poursuite d'une santé optimale pour l'homme, l'animal et leur environnement grâce à l'étude des interactions entre ces éléments et leur influence sur la santé", indique Sciensano. "Le concept est souvent ramené à des sujets spécifiques comme les zoonoses et la résistance antimicrobienne, la partie "environnement" étant alors également régulièrement négligée. Chez Sciensano, nous optons toutefois pour une interprétation large de One Health."Il s'agit d'un concept finalement assez récent. Si dès 1984, Calvin Schwabe, vétérinaire et épidémiologiste américain, rapproche déjà médecine vétérinaire et humaine sous les termes One medicine, il faudra attendre 2004 et les "12 principes de Manhattan" pour voir émerger les prémices du One Health. Ainsi, le premier de ces principes insiste sur la nécessaire reconnaissance des liens entre santé humaine, santé animale et environnement. L'histoire regorge malheureusement d'exemples tragiques des conséquences de l'intrusion de l'humain dans un écosystème, avec l'apparition du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ou l'explosion des cas de la maladie de Lyme. C'est finalement en 2008 que le concept One World, One Health émerge. Il présente un cadre stratégique global pour réduire les risques d'émergence de nouvelles maladies infectieuses en lien avec les interactions de l'humain avec l'animal et les écosystèmes. One Health promeut plusieurs changements pour prévenir les maladies infectieuses, l'objectif étant de s'attaquer au fond du problème, et de travailler sur le long terme. La collaboration internationale est évidemment une des pierres angulaires pour y parvenir. L'OMS travaille dans ce sens depuis la pandémie de grippe A (H1N1) de 2009. "Si le concept One Health s'est imposé depuis les années 2010 dans les agences de santé publique, son application concrète par les décideurs politiques reste encore très timide", estime pourtant Éric Muraille. "L'exemple du Sars-CoV-2 est désormais emblématique. De très nombreuses études ont été consacrées aux coronavirus. Dès 2013, des recherches indiquaient clairement que des coronavirus disposant d'un fort potentiel infectieux pour l'humain étaient présents en nature chez les chauves-souris. Ces études soulignaient la menace permanente et la nécessité d'une étude et d'une surveillance continues de ces virus. L'épidémie de Sars-CoV-2 de 2019 a pourtant été accueillie avec surprise, voire avec un certain déni, par de nombreux gouvernements."Si appliquer le concept One Health s'avère nécessaire, il faut une réponse internationale coordonnée, basée sur un socle de connaissances scientifiques empiriques et rationnelles. "Bien que l'approche One Health ait à de nombreuses reprises prouvé son efficacité, sa mise en application se heurte à un grand nombre de problèmes pratiques (l'absence de gouvernance mondiale), idéologiques (l'absence de définition claire de l'intérêt général, la dominance de l'individu sur le collectif) et même épistémologique (le rejet de la légitimité de la science comme source de vérité)", confirme Éric Muraille. Et de conclure. "Son application nécessite donc une véritable révolution sociétale. Une révolution qu'il est urgent de mener car face aux menaces globales comme la pollution et le changement climatique, le coût de l'inaction peut s'avérer exorbitant et mener à terme à l'effondrement de nos sociétés."