Cette année en proie à la crise sanitaire, les troubles du comportement alimentaire (TCA) ont connu une forte croissance. La détection précoce de cette problématique nécessite la mise en place d'un réseau multidisciplinaire.
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"L e Covid a fait exploser les troubles alimentaires: c'était une raison pour organiser une conférence sur ce sujet à l'occasion de la journée internationale des troubles du comportement alimentaire le 2 juin passé", a expliqué la Pr Marie Delhaye, chef du service de Psychiatrie infanto-juvénile de l'hôpital Erasme. Restriction de l'alimentation et perte de poids sont bien sûr au coeur de l'anorexie mentale, avec une peur de reprendre ce poids ou de devenir gros. " Cette peur est vraiment très envahissante pour les patientes. Il ne faut pas non plus négliger le déni: il y a une altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps (dysmorphophobie) et un déni à reconnaître la gravité de la maladie, une conscience morbide très basse avec une plus faible estime de soi", précise la Dr Tara Berenbaum, candidate spécialiste en psychiatrie infanto-juvénile. " Il est important de parler aussi de l'hyperphagie: ce terme n'est pas très connu, ni utilisé à bon escient. Il s'agit de l'absorption en un temps limité d'une énorme quantité de nourriture, avec un sentiment de perte de contrôle. Les patientes décrivent en général un épisode en trois temps: une envie pressante de faire la crise d'hyperphagie, un peu comme un toxico ; ensuite, la crise qui dure 15-20 minutes ; enfin, il y a un mal-être physique et psychique, avec beaucoup de honte et de culpabilité. Quand elle s'accompagne de comportements purgatifs, on parle de boulimie." Les TCA touchent majoritairement les filles (9/1 garçon) et si leur prévalence est basse (anorexie 0,3-0,6%, boulimie 1%), leur mortalité est six fois supérieure à la moyenne d'un même groupe d'âge (par dénutrition et suicide, surtout chez les patients chroniques, vers 35 ans). C'est la question que se posent les familles. " Trouver les causes sera important dans un second temps parce que la priorité est que l'adolescent remange, structure son alimentation", insiste Tara Berenbaum. On dénombre plus de 30 facteurs de risque répartis en trois groupes: ? prédisposants: génétiques (fille, ménarche précoce...), remarques (valorisation de la minceur...) ; ? déclencheurs: puberté, événements (décès, confinement...), médical (mononucléose, opération dents de sagesse...), agression extérieure (harcèlement...), sport (danse, athlétisme...), influences sociales (réseaux sociaux, pairs, famille...) ; ? de maintien, entretien. " Les complications concernent tout le corps: aménorrhée (retrouver ses règles est un facteur de guérison, il faut 22% de graisse corporelle pour avoir un cycle régulier), conséquences sur le rythme cardiaque, la PA, ralentissement du bol intestinal... Il est important de pouvoir faire le point mais ce n'est pas parce que la prise de sang est bonne que le patient n'est pas en train de se crasher sur le plan psychique et physique. Il faut donc prendre le patient en charge avant que la sérologie ne montre des signes anormaux parce qu'en général, à ce moment-là, c'est déjà trop tard parce que le corps s'adapte à la dénutrition", met-elle en garde. " Pendant la première phase du confinement", indique la Pr Delhaye, " on a dû réduire les hospitalisations et, simultanément, il y a eu une vague de demandes pour troubles alimentaires, suicides etc. On a dû mettre en place des choses spécifiques, un système de renutrition rapide pour que les hospitalisations soient les plus courtes possibles et on a commencé à faire des hospitalisations à domicile (si BMI>16), avec des entretiens quotidiens à distance avec le pédopsychiatre, l'infirmière de référence, la diététicienne... et une visite hebdomadaire sur place pour être pesé et rencontrer les intervenants. à cette époque, on a eu de très bons résultats." " La première phase du Covid a entraîné de la peur, les familles faisaient régime ensemble, mais quand un ado est dans cette systématique de régime, parfois il ne peut plus en sortir. à partir d'octobre (avec un pic en janvier), plus de 50% des hospitalisations dans notre unité concernaient les TCA. Nous avons été assaillis de demandes téléphoniques de médecins, pédiatres... C'est bien parce qu'il faut prendre le problème suffisamment tôt pour que le pronostic soit meilleur." " Pour le traitement, l'aspect multidisciplinaire est essentiel", souligne la Dr Berenbaum . "Au niveau international, on recommande un traitement ambulatoire, puis hospitalier mais, en fonction des complications et des comorbidités associées, parfois on commence par hospitaliser. On travaille d'abord la rénutrition et ensuite, les autres aspects notamment les difficultés au niveau corporel et les rigidités cognitives". " En ambulatoire, la FBT (Family Based Therapy) où les parents reprennent temporairement le contrôle alimentaire de leur enfant donne de bons résultats. La CBT (Cognitive Behavioral Therapy) est aussi adaptée pour les troubles boulimiques. Les traitements médicamenteux ne fonctionnent pas en première intention, ils permettent d'apaiser l'anxiété et les ruminations par rapport à la nourriture et de traiter des comorbidités comme les TOC, les troubles anxieux, dépressifs et du sommeil." L'hospitalisation est considérée en cas de BMI<14 ou de perte de poids rapide, en fonction de certains paramètres (PA<85/50mmHg, rythme cardiaque <50bpm, température <35,5°, biologie...), en cas d'échec de la prise en charge ambulatoire, de comorbidités psychiatriques sévères, d'envies suicidaires... " La prévention est très importante, la première ligne est une ressource, notamment pour la détection précoce afin d'éviter les rechutes et d'avoir une rémission plus rapide", estime la doctorante. C'est dans cet objectif qu'un Diplôme universitaire sur les TCA, organisé par l'ULB(1), est en gestation: " Nous avons besoin de tout le monde pour créer un grand réseau", conclut Marie Delhaye.