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"C 'est un sacré défi de vivre 24h/24 sous le même toit, se supporter dans tous les sens du terme, gérer l'anxiété et créer un vivre ensemble suffisamment épanouissant et créatif ", fait observer le Dr Emmanuel Thill, pédopsychiatre à Tournai. " Ce défi rentre en conflit avec le processus normal et naturel de l'adolescence qui est de se détacher et de vivre des expériences en dehors du regard des parents. C'est un équilibre compliqué entre l'espace d'intimité et l'envie de vivre des moments ensemble en famille, tout en respectant les règles du confinement. Pour beaucoup de familles, cela se passe relativement bien, mais c'est plus compliqué quand ces défis entrent en résonance avec des difficultés préexistantes. "En ce moment, le pédopsychiatre est souvent appelé à l'aide pour des troubles du comportement : " L'agressivité peut prendre différentes formes : soit un mouvement d'humeur face aux limites imposées par les parents dans cette situation de confinement, soit des crises d'agressivité physique extrêmement interpellantes et un risque en retour de maltraitance vis-à-vis de l'adolescent, soit encore des transgressions des règles (sortir pour retrouver ses copains ou sa petite copine). "D'autres ados expriment la peur d'être infectés. " J'ai vu un basculement lors de l'annonce du premier décès d'un adolescent, alors qu'avant, ils se disaient que c'était une maladie de vieux. Il y a aussi l'angoisse de mort pour soi et pour les proches, particulièrement chez les enfants du personnel soignant. "Comment le cerveau peut-il faire face ? Avoir des parents qui arrivent à gérer leur propre anxiété protège un peu les ados. " Ils me disent aussi qu'ils rêvent énormément. C'est le psychisme qui essaye de digérer l'anxiété ou les difficultés vécues pendant la journée. C'est plutôt bon signe ", relève Emmanuel Thill. Cependant, pour rêver, il faut un sommeil de qualité. " C'est la troisième cause pour laquelle je suis interpellé. L'anxiété peut être source de troubles du sommeil, mais l'hyperconsommation des écrans joue également. Certains ados ont inversé leur rythme veille/sommeil, pour être moins sous le regard des parents ".Structurer un minimum les journées fait partie des pistes à conseiller . " Des heures de lever et de coucher pas trop tardives, en essayant de gérer au mieux le sommeil de l'ado, définir un temps de travail scolaire et plus ou moins le temps d'écran (avec une certaine largesse parce que c'est la seule façon qu'ils ont de voir leurs amis), et une activité physique (essentielle pour décharger un peu l'agressivité) ", note le pédopsychiatre. " De manière générale, il faut prendre du temps pour parler, exprimer les angoisses que l'on peut vivre parents et ados. Idéalement, il est important de définir, tous les jours, un temps d'activité collective en famille. Cela permet de garder vivant le dialogue avec l'adolescent. Je conseillerais également aux ados de s'engager dans des petits projets d'utilité sociale. C'est une façon de se remettre en action, de maîtriser l'angoisse et d'utiliser positivement leur énergie vitale. "Vais-je retrouver mes copains ? Pourrais-je aller au camp ? ... Certains ados ont une certaine angoisse de la période post confinement sur les plans scolaire et relationnel. Quelles pistes proposées? " Une chose relativement simple est de prendre note dans un carnet, en famille, de tout ce que l'on savoure en cette période de confinement (petits bonheurs comme déjeuner ensemble le matin, faire un repas sans être interrompu par le téléphone...) et se demander lesquels on voudrait conserver ", propose-t-il. " Nos vies ne vont pas changer radicalement mais des petites choses peuvent permettre de retrouver une autre saveur. "Ainsi, des ados engagés dans de multiples activités ont appris, avec le confinement, à prendre le temps : " Va-t-on essayer de retrouver un équilibre en laissant tomber l'une ou l'autre activité ? Dans cette course à la performance, on oublie qu'il faut un temps d'ennui et de métabolisation. Paradoxalement, des jeunes disent qu'ils s'ennuient pendant ce confinement mais qu'ils apprécient quand même ce temps d'ennui. Si pour certains, ce temps d'arrêt est une bénédiction, pour d'autres, déjà fragiles, le vide les renvoie à leurs pensées négatives. "Comment gérer le retour à l'école pour ceux que cela concerne déjà ? " Il sera plus difficile de mettre du sens dans un confinement partiel que total et tout dépendra de la manière dont les enfants sont accueillis à l'école. Il faut leur laisser le temps de se reconnecter dans la réalité avec leurs copains. Il serait intéressant que les écoles organisent des activités collectives, valorisent l'expérience que chacun a vécue, un peu comme on le fait après un long voyage ".Enfin, l'après confinement verra naître des problèmes psychologiques : " Epuisés, des parents seront moins disponibles pour soutenir leurs ados. Quand on retrouve une vie normale, on se relâche au niveau de son angoisse et les troubles peuvent apparaître ", met-il en garde. Cette période inédite questionne aussi le pédopsychiatre . " On est déjoué dans notre prévisibilité, je suis étonné de la capacité de résilience des familles. Dans cette situation extrême où nous avons été privés de beaucoup de libertés, la plupart d'entre nous ont trouvé des modalités pour le vivre ensemble. Cela confirme l'importance du relationnel et du partage, ce qui s'était un peu perdu dans notre société. Dans les situations les plus lourdes qu'on a dû gérer, ce qui nous a permis de trouver des pistes de solution, c'est l'activation de nos liens avec le médecin généraliste, le pédiatre... Cela m'invite à continuer à mettre de l'énergie dans ce travail de mise en lien entre professionnels ", souligne Emmanuel Thill.