Tandis que le médecin généraliste revêt une importance capitale dans l'accompagnement de la fin de vie, le Centre fédéral d'expertise (KCE), ayant constaté une dichotomie entre patients décédant à l'hôpital et au domicile, propose d'attribuer des avantages regroupés sous forme de "packs" cohérents d'aides et de soins. Explications avec Céline Ricour, expert MD au KCE.
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Le journal du Médecin : Il semble qu'aujourd'hui le patient en fin de vie à la maison est désavantagé par rapport à celui qui séjourne en hôpital. Que recommande le KCE pour y pallier? Céline Ricour: Le constat que le patient en fin de vie à domicile est désavantagé par rapport au patient en fin de vie en institution hospitalière date des années '90. À l'époque, une législation a permis à l'Inami d'octroyer un forfait palliatif aux patients qui choisissaient de décéder à domicile et qui n'avaient plus que trois mois d'espérance de vie. Cet avantage était couplé à une suppression des tickets modérateurs pour les interventions des médecins généralistes, des kinés et des infirmières à domicile. Ce qui a changé actuellement par rapport aux années '90, c'est la définition du patient palliatif, qui ne tient plus compte de l'espérance de vie. Le constat actuel qui justifie de vouloir modifier le système de soutien accordé aux patients palliatifs est plutôt centré sur l'incohérence entre les critères: "Tout patient a droit à des soins palliatifs quelle que soit son espérance de vie, est identifié comme palliatif quand il lui reste six à 12 mois à vivre et est soutenu financièrement quand il lui en reste trois", comme expliqué dans la synthèse du rapport KCE. Une part des difficultés vécues par les patients et leur entourage, notamment sur le plan des frais restant à leur charge, est illustrée dans les données récoltées lors de notre projet de recherche par le fait que le forfait ne suffisait pas toujours à couvrir les frais liés aux soins à domicile d'une part, et d'autre part par l'octroi de forfaits uniquement aux patient à qui il reste trois mois de vie estimés. Le KCE propose de coupler l'octroi des soutiens, notamment financiers, aux besoins des patients. Cependant, il n'y a actuellement pas de moyen qui existe pour évaluer ces besoins de façon rapide et facile et pour pouvoir associer cette évaluation des besoins à des avantages proportionnels à la sévérité des besoins de façon rigoureuse. De nombreux outils existent mais aucun n'a démontré son efficacité à catégoriser correctement. C'est pourquoi le KCE conseille aux autorités de poursuivre la recherche sur les outils de catégorisation. Quid des soignants très sollicités lors des dernières semaines de vie? Sont-ils suffisamment soutenus et rémunérés? Nous n'avons pas étudié la charge de travail des soignants durant cette période de soins intenses. Par contre, le rapport met en lumière l'importance d'inclure les besoins des aidants proches et des professionnels dans l'évaluation globale des besoins du patient selon le modèle de la complexité des besoins. Le rapport soulève et même recommande de prendre en compte et donc de rémunérer le temps important nécessaire à une évaluation globale des besoins. Quel rôle pour le médecin généraliste? Peut-il faire davantage? Comment peut-il évaluer avec précision le temps de vie restant qui conditionne les aides si j'ai bien compris? Le médecin généraliste a un rôle central dans la prise en charge des patients palliatifs à domicile mais également dans les institutions résidentielles non hospitalières. Le nombre de critères pour accéder à la suppression du ticket modérateur de ses prestations est d'ailleurs moindre que pour les kinés et infirmières. Notre rapport a mis en évidence le retard d'attribution des avantages aux patients suite à des difficultés d'évaluation de la phase palliative et surtout suite à des difficultés à estimer l'espérance de vie d'un patient. Il existe toutefois des outils d'estimation de l'espérance de vie comme, par exemple, la question surprise (ex: Seriez-vous surpris si votre patient venait à décéder dans les six à 12 prochains mois? ) ou l'échelle PPS (Palliative performance scale). Quoiqu'il en soit et même avec l'aide d'outils, l'estimation de l'espérance de vie est un exercice périlleux bien que parfois nécessaire. De façon générale, les échelles validées scientifiquement sont des atouts supplémentaires auxquels les médecins généralistes pourraient avoir recours. La nouvelle nomenclature sur la réalisation de l'advance care planning est aussi une belle opportunité pour les médecins généralistes d'affiner leurs interventions auprès de leurs patients présentant des maladies chroniques à un stade avancé et incurable. L'entourage est très sollicité dans l'accompagnement de la fin de vie et cela l'épuise. Là aussi, peut-on faire quelque chose? En effet, la présence de l'entourage est primordiale dans la prise en charge à domicile d'un patient en fin de vie. C'est d'ailleurs un des critères d'octroi des avantages. Nous n'avons pas étudié spécifiquement la charge de l'entourage au cours de ce projet, mais à nouveau nos données indiquent l'importance de tenir compte des besoins de l'entourage lors de l'évaluation des besoins du patient. Le KCE envisage-t-il une approche résolument innovante et différente de la situation actuelle? Et laquelle? Le KCE a proposé quatre pistes d'action aux autorités dont la plupart nécessitent de poursuivre la recherche sur les outils d'évaluation et de catégorisation pour les rendre plus fiables d'une part, et pour étudier les facilitateurs à leur mise en oeuvre d'autre part. Une proposition innovante fait partie de ces pistes d'action. Il s'agit d'attribuer des avantages regroupés sous forme de "packs" cohérents d'aides et de soins, ciblant une ensemble de besoins appartenant au même domaine de besoins. Cette piste d'action innovante nécessite également une investigation scientifique supplémentaire.