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Dans la banlieue de Karlsruhe, à Dammerstock, se sont élevées aux abords de cette ville "nouvelle", car vieille de seulement trois cents ans et disposée en fer à cheval autour du château (reconstruit après la guerre), d'abord vers 1911 une cité jardin aux maisons - mitoyennes certes -, mais imposantes, aux toits à quatre pentes et aux tuiles en céramique.En 1929, c'est autour du Bauhaus de se lancer dans la conception d'un tel projet, fonctionnel cette fois, rationnel, hygiénique et égalitaire à l'initiative d'un maire pourtant conservateur : Julius Finter.Imaginé par Walter Gropius, fondateur du Bauhaus, cette réalisation imposante fut d'abord conçue comme exemple à montrer lors de l'expo urbanistique de 1929 (il y en eut plusieurs en Allemagne, Tchéquie, Pologne et Autriche à l'époque, à la suite de précédents à Stuttgart et Darmstadt) avant de s'étendre plus avant, et proposer des alignements d'habitations dans de longs blocs d'une hauteur maximale de cinq étages exposés est, ouest : les chambres vers le lever, le living vers le coucher du soleil.Fait de matériaux comme le métal pour les fenêtres et les portes, le verre et la couleur, blanche, dans une esthétique lumineuse, dépouillée, protestante et fonctionnaliste, le projet leurira sur ce qui n'est encore que des champs, et sans convaincre au début les personnes à revenus modestes auxquels ils étaient destinés (ils l'ont surnommé Jammerstock, dommagestock) : car après l'exposition, l'on mit ces habitations à la disposition des habitants en manque de logements.Entre un salon-lavoir ultramoderne, un chauffage central collectif de petits jardins avant et arrière, les petits appartements standards d'une surface d'environ 80 m2 sont tous du même modèle (280 cm de plafond), séparés parfois par des cages d'escalier en verre. Le lieu rappelle Le Havre et les projets postérieurs d'Auguste Perret, la cité jardin, celle de Floréal à Watermael-Boitsfort notamment.L'un des bâtiments, situé au début de l'ensemble, accueille le restaurant Erasmus qui a conservé l'esprit et le style du Bauhaus, mais propose une cuisine slowfood d'excellente qualité, oeuvre d'un chef romain, qui ne prend que des produits bio de qualité dénichés par son épouse qui est de Karlsruhe.Il s'appelle Erasmus, car ce dernier est né à Rotterdam, embouchure du Rhin qui arrose Karlsruhe, et est décédé à Bâle, ville située plutôt à son début, à vécu à Strasbourg toute proche (une heure de voiture), et prônait la tolérance. C'est exactement ce que fait ce couple mixte (l'épouse du chef est allemande)... en mixant cuisine italienne, française qui s'accompagne et de vins allemands locaux excellents.Ancienne usine de munitions datant de 1915 qui utilisa des travailleurs forcés durant la dernière guerre, et bizarrement ne fut pas détruite, la ZKM (Zentrum fur Kunst und Medien) est d'un style pré fonctionnaliste ajouré d'éléments historicisant, rythmé par exemple de frontispices d'inspiration antiques. Cet énorme bâtiment, qui multiplie les niveaux, est devenu voici tout juste trente ans un centre important d'art lié au digital, une sorte de Bauhaus numérique.Il mêle à la fois expositions, mais aussi workshops, conférences liées au net et aux autoroutes de l'information, développe également un travail d'archivage et de digitalisation d'oeuvres réalisées en vidéos dans les années 80 ou 90 et accueille des résidences d'artistes.L'une des expositions en cours, intitulée Writing the history of the future, basée sur les collections de ce musée particulier, met en exergue les premiers développements artistiques dans le domaine de la photo, la vidéo, les ordinateurs ou les jeux vidéos depuis la in de la Deuxième Guerre.L'autre, située au rez-de-chaussée et intitulée Open codes se révèle un foisonnement d'écrans et de codiications, donnant lieu à des images, des installations, voire tout simplement des sons. C'est une sorte de matérialisation de l'interconnectivité entre les colloques, les workshops qui s'y déroulent et les oeuvres parfois interactives qui y sont présentées : une agora digitale qui illustre le flot d'informations généré par internet, mais qui se veut aussi parfois critique ou poétique, notamment au travers de ready-made digitaux : par exemple chez Chikashi Miyama qui, avec "Rythm of shapes", parvient à donner un sens mélodique aux colonnes d'encodages qui défilent ; ou encore avec Nadal et Escuerdo Andaluz qui matérialisent la dépense d'énergie provoquée par le marché du bitcoin, au travers d'une machine à calculer, grande consommatrice de chiffres, de data et de papier : l'oeuvre s'intitule... "Bittercoin".À côté de certains noms connus comme Alberola, d'autres le sont beaucoup moins, mais parfois plus porteurs de sens également : Margret Eicher évoque les jeux vidéos, "Avatar" et Baudrillard, dans Das grosse Rasenstück, tapisserie réalisée sur jacquard, système ancêtre de la digitalisation de par le système binaire qu'il mit en place, il y a deux siècles.D'autres sont plus drôles comme cette photographie de Barry Stone qui entoure sa voiture sans chauffeur de sel pour l'empêcher de sortir de ce cercle ( Daily, in a nimble sea) : travail vidéo et photographique. D'autres encore sont plus réflexifs : c'est le cas d'Helena Nikonole qui dans Deus X mchn montre, au hasard, des caméras de surveillance qu'elle hacke à distance dans le monde entier ; dans une mise en abîme vertigineuse, le spectateur surveille la caméra qui surveille... tout en surveillant lui-même. De même, la question du regard est ici posée, de la vie publique et privée et bien sûr... de la surveillance.D'autres programmeurs artistes ou artistes programmeurs, tentent d'enrayer la machine ultra capitaliste, en mettant au point des programmes, des algorithmes dadaïstes qui sèment le chaos sur le marché financier : qu'ils se basent sur l'horoscope ou l'influence de Pluton sur l'économie, le collectif du nom de RYBN.ORG montre à quel point l'économie financière n'est pas une science, mais une sorte d'augure parfois farfelu, fonctionnant sur des paris parfois réalisés au doigt mouillé.Des dizaines d'oeuvres jalonnent le grand espace et s'entremêlent, tels des câbles. L'impression qui en résulte au final est que cet art virtuel, impalpable et donc invendable, se révèle bien plus créatif et impertinent que celui qui, en deux ou trois dimensions, inonde le marché de l'art. Que la plupart de ces artistes exercent par ailleurs un autre "vrai" travail", démontre leur indépendance dans un propos sainement à la marge.Un bon virus au sein du monde de l'art ?