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Oserait-on dire que l'imagerie cérébrale fonctionnelle nous montre le cerveau en action ? Elle nous fournit en tout cas un aperçu des activités métabolique et hémodynamique dont il est le siège, ainsi que de leurs variations en fonction des processus cognitifs en cours. Par exemple, lors de l'exécution d'une tâche cognitive donnée ou lorsque le sujet se trouve dans un état déterminé, tel le sommeil ou le coma, ou encore après lésion cérébrale. Elle arpente donc à la fois les chemins de la physiologie et de la pathologie, s'évertuant tantôt à élucider les mécanismes qui président à nos performances cognitives, émotionnelles, motrices ou autres, tantôt à cerner ceux qui, dans l'hypothèse de lésions cérébrales, sapent les potentialités de l'individu - amnésie, maladie de Parkinson, maladie d'Alzheimer, etc. Bien que la tomographie par émission de positons (PET scan) demeure très utile dans certains domaines comme l'étude de la neurotransmission chez le sujet normal ou du métabolisme cérébral dans certaines pathologies, l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est devenue l'outil privilégié de la recherche relative aux " soubassements " cérébraux des processus cognitifs. Ses mérites sont immenses, puisqu'elle nous offre un aperçu presque instantané de l'activité cérébrale en cours, une meilleure caractérisation des soubassements cérébraux des processus psychologiques, une aide précieuse au diagnostic des troubles neurodégénératifs et d'autres troubles neurologiques, une mise en évidence des effets neurobiologiques d'une rééducation cognitive (de l'attention, du langage, etc.)... Elle acquiert en outre une utilité croissante en neurochirurgie et remplace en partie le test Wada - anesthésie d'un hémisphère - pour la détermination de la dominance hémisphérique des processus cognitifs, en particulier du langage. Technique irremplaçable autorisant des niveaux d'investigation inégalés jusqu'à présent, l'IRMf est souvent présentée comme une " arme absolue " dans les médias. Bien que capable de lever un coin du voile sur le fonctionnement du cerveau en temps quasi réel, l'IRMf, à la suite du PET scan, ne possède toutefois pas le pouvoir magique qu'on lui attribue parfois, par exemple pour le décryptage de nos pensées les plus intimes. " En l'absence de modèle théorique de référence concernant la fonction étudiée (mémoire, langage...), un risque est la surinterprétation des résultats ", dit le Pr Steve Majerus, directeur de recherches au Fonds national de la recherche scientifique (F.R.S.-FRNS) et responsable de l'Unité de recherche Psychologie et Neurosciences Cognitives de l'Université de Liège (ULiège). Et d'ajouter : " Des interprétations "ex nihilo" sont rarement fécondes et peuvent conduire dans une impasse ou mener à des extrapolations abusives. "Il est primordial de garder à l'esprit que l'IRMf ne permet pas de mesurer directement l'activité des neurones. Elle l'appréhende " par la bande ". De fait, elle s'appuie essentiellement sur la mesure des changements s'opérant au niveau de certaines propriétés du flux sanguin cérébral au sein des vaisseaux capillaires artériels ou veineux des régions cérébrales activées (signal BOLD - Blood Oxygenation Level Dependant). En outre, elle ne se conçoit pas sans le recours à des traitements de l'image et à des traitements statistiques multiples et complexes. Pourquoi l'image doit-elle être traitée ? Primo, la tête du participant peut changer très légèrement de position en cours d'expérience, ce qui impose un réalignement des images acquises successivement. Secundo, dans les études impliquant plusieurs participants, il faut tenir compte du fait que la morphologie du cerveau varie d'un sujet à l'autre. D'où l'obligation de transformer l'image cérébrale obtenue pour chaque participant afin de l'aligner sur celle d'un cerveau aux dimensions standardisées. Ce " recalage " (ou " normalisation ") est indispensable si l'on veut se livrer au jeu des comparaisons interindividuelles. De surcroît, élément essentiel, les signaux IRMf doivent faire l'objet d'un traitement statistique complexe avec des logiciels spécifiques comme, par exemple, le logiciel baptisé Statistical Parametric Mapping ( SPM - cartographie statistique paramétrique). Ainsi, l'utilisateur est appelé à définir un modèle statistique contenant toutes les variables expérimentales et la façon dont elles ont varié au cours de l'expérience. Ce modèle est requis pour identifier les régions cérébrales spécifiquement activées dans une condition donnée (la lecture de mots, par exemple) par rapport à une autre (par exemple, la lecture de non-mots, c'est-à-dire de termes dépourvus de sens, tel " banmok "). " Une étude en IRMf générant plusieurs centaines de milliers de voxels1, il convient en outre de tenir compte du fait que l'activation statistiquement significative pour un certain nombre d'entre eux pourrait être simplement le fruit du hasard", souligne Steve Majerus. "Les logiciels statistiques de type SPM incluent des procédures qui permettent de corriger le seuil statistique prédéfini afin de diminuer le risque d'observation de "faux positifs" dans les résultats. " À ce niveau, plusieurs options sont cependant disponibles, de sorte que, selon celle qui aura été retenue, la correction sera plus ou moins sévère et la marge d'erreur, plus ou moins importante. Bref, sans modèle statistique, les images recueillies en IRMf sont ininterprétables. D'autres contraintes sont encore à prendre en considération. Eu égard au principe de base de l'IRMf et à l'ensemble des contraintes inhérentes à son mode de fonctionnement, il faut considérer avec Steve Majerus que " l'image qui est obtenue in fine ne représente pas l'activité cérébrale directe, mais une interprétation statistique des activations cérébrales. " En un mot, nous ne sommes pas dans une situation où le " regard " est en prise directe avec la réalité. Menés en 2006 en collaboration avec l'Université de Cambridge, d'anciens travaux de l'équipe du Pr Steven Laureys, directeur de recherches FNRS et responsable du Centre du Cerveau au CHU de Liège, illustrent bien cet état de fait. Les chercheurs réussirent à utiliser la " real time fMRI " (l'IRMf en temps réel) pour établir un " dialogue " avec une jeune patiente de 23 ans chez qui la même technique avait permis préalablement de déceler des signes de conscience (état de conscience minimale), alors qu'elle était réputée jusque-là en état d'éveil non répondant (anciennement état végétatif). Des questions simples, nécessitant une réponse par oui ou par non, lui furent posées. L'IRMf ne permettant pas d'opérer une distinction entre les zones qui " s'allument " dans le cerveau selon que quelqu'un souhaite répondre par oui ou par non, il fut demandé à cette patiente de s'imaginer en train de jouer au tennis si elle voulait répondre par l'affirmative et en train de déambuler dans sa maison si elle voulait fournir une réponse négative. En effet, la technique est alors capable d'opérer la distinction entre les deux profils d'activations cérébrales, lesquels avaient été définis antérieurement chez des volontaires sains. " Il faut néanmoins savoir que rien n'est ni blanc ni noir en IRMf", dit Steve Majerus. "Ainsi, avec cette procédure, les données d'imagerie montrent dans la plupart des cas une activité dans les deux réseaux pris en considération, mais à des degrés divers. Les réponses "oui" et "non" aux questions posées sont inférées par le logiciel statistique, qui détermine si c'est le réseau théorique associé au "oui" ou celui associé au "non" qui ressemble le plus aux activations observées. Nous demeurons donc dans un univers probabiliste. "Au cours des dix dernières années, l'IRMf a réalisé des progrès significatifs, notamment grâce à des techniques dites multivariées et à des scanners à champ magnétique très élevé (7 Tesla). Elle nous fixe un second rendez-vous dans notre prochain numéro.