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Il y a dix ans, quand les critiques s'élevaient pour dénoncer le manque de résultats de la recherche sur les maladies financée par les fonds public, la Commission européenne a passé un sale quart d'heure. Les reproches émanaient surtout du secteur pharmaceutique. L'Europe se montrait prête à balayer devant sa porte, mais souhaitait aussi que les firmes pharmaceutiques apportent leur contribution. Voilà comment est née l' Innovative Medicines Initiative (IMI). Cette nouvelle structure permet de se concerter avec les entreprises pharmaceutiques, afin de définir quels projets nécessitent une recherche accélérée, sans que l'Europe doive investir seule. La Commission contribuerait ainsi à raison d'un euro pour chaque euro investi par le secteur pharma. L'IMI constitue donc un partenariat privé-public. L'initiative est soumise à une série de conditions-cadres. Les chercheurs chargés de projet au sein de la structure doivent collaborer avec l'ensemble des entreprises participantes. Traduction pour le secteur pharmaceutique : le travail se joue dans une phase précompétitive. En outre, toutes les parties concernées bénéficient des résultats à terme. Non seulement les patients, mais aussi chaque partenaire au sein de l'industrie. Dans le cas du diabète de type 1, l'initiative émane de deux grandes institutions américaines : la Juvenile Diabetes Research Foundation et le Hemsley Charitable Trust, qui entendaient mettre sur pied une plateforme européenne pour les études cliniques, permettant de cartographier les marqueurs biologiques liés au diabète de type 1. En effet, ces marqueurs permettent de prédire l'apparition de la maladie. Par ailleurs, ils peuvent aider à expliquer le succès (ou l'échec) d'une médication freinant la destruction auto-immune du pancréas. L'idée a rencontré un vif succès. La 1ère division du secteur s'est tout de suite ralliée à la cause : Eli Lilly, GSK, Novo Nordisk et Sanofi-Aventis. " Je coordonnais moi-même un projet porté par la crème de la recherche fondamentale en matière de diabète de type 1 en Europe ", explique le Pr Chantal Mathieu (Centre pour le diabète, UZ Gasthuisberg, Louvain - coordinatrice du projet INNODIA). " Nous nous sommes retroussés les manches avec des spécialistes de la recherche clinique. Au total, ce sont 27 centres académiques de toute l'Europe qui se sont lancés dans l'aventure. Ensemble, nous avons monté un projet qui s'est vu sélectionner parmi d'autres propositions par la Commission européenne. INNODIA était née." Ce projet vise à déterminer, par la recherche fondamentale, les marqueurs du diabète de type 1. Par ailleurs, il existe aussi, à travers toute l'Europe, un réseau aujourd'hui composé de 47 centres cliniques, qui encouragent les patients dont le diabète de type 1 a récemment été diagnostiqué, ainsi que leur famille, à mettre à disposition leurs échantillons (de sang, d'urine, de selles) pour la recherche de marqueurs. Dans le cadre d'INNODIA, tous les patients sont soigneusement phénotypés, mais l'originalité de ce projet réside dans la manière centralisée et standardisée dont les échantillons sont analysés, poursuit le Pr Mathieu : " Un seul type d'analyse est utilisé pour tous les échantillons d'un même laboratoire ou d'une série de labos. Cela ne vaut pas seulement pour le dosage des auto-anticorps, mais aussi pour les cellules T, la protéomique, la métabolomique, la lipidomique, les petits ARNi, etc. Au delà de l'aspect standardisation, l'avantage de cette centralisation est que les analyses utilisent une technologie dernier cri. " Tous les résultats sont rassemblés dans une seule et même banque de données (de plus de 3.700 personnes à l'heure actuelle) à Copenhagen. La phase suivante consistera en un traitement informatique qui tiendra compte de toutes les paramètres visés. Le sang de chaque personne fait l'objet de plus de dix analyses intégrées, à la recherche de biomarqueurs. " Les résultats des cent premiers patients sont actuellement traités dans le cadre de cet exercice de bio-informatique extrêmement complexe ", ajoute la spécialiste du diabète . " L'algorithme combine les résultats du laboratoire aux données cliniques. C'est dans cette matière que nous cherchons des signaux que nous n'aurions pas détecté autrement. " Le projet INNODIA a également permis de mettre sur pied un réseau d'intervention clinique. Des interventions sur des patients de tous âges seront ainsi testées dans 18 centres, dans l'espoir de freiner l'évolution de la maladie. " Nous avons pris le temps de bien monter les études cliniques, car nous souhaitions travailler à grande échelle, avec un protocole maître pour englober le tout. Toutes les études comprendront les mêmes analyses intermédiaires de biomarqueurs, selon un agenda préétabli. Le schéma de base peut être étendu, mais fait office d'exigence minimale. Cela nous permettra de s'assurer beaucoup plus vite de l'efficacité d'un médicament. L'EMA a approuvé notre protocole maître et en septembre, nous débuterons les quatre premières études. " La première, MELD-ATG, étudiera chez les enfants et les jeunes adultes l'effet de doses infimes de globuline antithymocyte (ATG). L'ATG constitue une préparation d'anticorps polyclonaux, réalisée à partir d'injections de thymocytes humains chez des cheveux ou des lapins. Ce procédé est déjà utilisé depuis des décennies pour prévenir les réactions de rejet aigu suite à une transplantation. MELD-ATG se base sur un protocole complexe, composé de nombreux groupes d'études. Le but est de déterminer la plus petite dose efficace d'ATG pour contrer le rejet auto-immun du pancréas. Si une dose ne permet pas d'obtenir les effets espérés sur les marqueurs biologiques visés, l'activité de ce groupe d'études est mise sous silence. Une deuxième étude porte sur l'effet du vérapamil sur les adultes atteints de diabète. Cette molécule ancienne a en effet montré son efficacité sur différentes protéines de la cellule bêta, dont elle renforce la résistance. La troisième et quatrième étude ? " Au cours des dernières années, grâce à l'attention autour du projet INNODIA, nous sommes devenus une référence dans la recherche sur le diabète de type 1. Nous avons ainsi été approchés par Novartis et une plus petite firme appelée IMCYSE ", explique le Pr Mathieu. " Chacune des deux a lancé son étude, qu'elles voulaient importer sur notre plateforme. De fil en aiguille, Novartis et IMCYSE sont devenues partenaires de notre réseau. " " Nous avons ainsi pu ramener six millions d'euros supplémentaires dans la balance. Comme nous avions bien travaillé, les gens d'IMI étaient d'accord de contribuer à nouveau à hauteur de six millions, selon le principe susmentionné d'un euro pour un euro. Ces douze millions supplémentaires font qu'INNODIA fonctionne aujourd'hui avec un budget de près de 50 millions d'euros, avec un nombre toujours plus important de partenaires. " Enfin, l'intéressée souhaitait souligner ceci : " Bien que la coordination soit assurée conjointement par la KU Leuven et Sanofi, tous les partenaires sont égaux dans les discussions. Au départ, il était quelque peu inhabituel pour les entreprises de travailler dans un mode précompétitif, mais la confiance et la compréhension mutuelle se sont ensuite installées. Il s'agit là d'une expérience enrichissante, même pour nos académiciens, car le secteur pharma est plus familiarisé que nous à la standardisation des processus et au contrôle de la qualité. Je pense que cette collaboration intensive et à grande échelle constitue l'unique moyen pour aborder une malade relativement rare comme le diabète de type 1. INNODIA peut sans conteste servir de référence en matière de partenariat public-privé fluide. "