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Le journal du Médecin: L'activisme climatique pour un médecin entraîne un certain nombre de conséquences pour lui-même et pour sa pratique, comme le fait qu'il peut perdre la confiance de son patient et de ses collègues... Doit-il pour autant renoncer à militer pour les causes en lesquelles il croit? Dr Sébastien Cleeren: Je trouve que les termes de "militants" ou "activistes" sont mal choisis. Le militantisme, à en croire les dictionnaires que je viens de consulter, fait référence au fait de combattre activement pour défendre une idée, une opinion, une cause ou un parti politique. Les changements climatiques ne sont rien de tout cela mais simplement un fait, largement étudié et établi. L'activisme est une attitude politique or si les solutions sont politiques, la base du problème climatique est une question de physique élémentaire. Cependant, à l'inverse du problème qui est objectif, la façon dont on veut le combattre activement est très subjective. Elle dépendra, à mon sens, de multiples facteurs comme la connaissance profonde ou non du sujet, de sa propre vision de la mission de soignant, de sa culture et de sa vie familiale, de sa résilience propre, de nos convictions, de notre confiance vis-à-vis de nos politiques, etc. Je pense donc qu'il faut faire attention à la différence entre la problématique des changements climatiques et la façon dont chacun décide d'essayer de combattre le problème. Le problème du climat touche les gens de façon profonde (peur pour soi ou ses enfants, culpabilité, être bloqué dans l'inertie est frustrant, que faire pour résoudre le problème? ) et fait émerger des questionnements qui touchent à tous les domaines de la vie et dépasse donc souvent l'évidence scientifique. Si bien que même les confrères médecins n'y échappent pas (...) Comme le rappelle l'article du Lancet (résumé sur www.journaldumedecin.com, NdlR), nos patients ont confiance en nous. Cependant, à certaines occasions, cette confiance souffre de leur manque d'information (un antibiotique pour une infection virale? Non Monsieur! ) ou même de leur désinformation (des micropuces dans les vaccins covid? ). D'un autre côté, nous avons des responsabilités envers nos patients (...) La loi du 22 août 2002, relative aux droits du patient, nous dit que: "Le patient a droit, de la part du praticien professionnel, à toutes les informations qui le concernent et peuvent lui être nécessaires pour comprendre son état de santé et son évolution probable." Or, "l'évolution probable" de l'état de santé d'un patient dépend, en partie, de son exposition environnementale. Un médecin généraliste pourrait-il être condamné pour ne pas en avoir tenu compte? Nous avons donc, en tant que médecins, l'obligation légale d'informer nos patients que les changements climatiques et plus généralement la dégradation des écosystèmes menace leur santé de bien des façons. August Lindemer souligne que ce type d'activisme rompt avec la traditionnelle neutralité du médecin notamment face à son patient. Qu'en pensez-vous? Le fait de reconnaître le changement climatique, son origine, ses conséquences sur la santé humaine ainsi que l'urgence qui en découle n'est pas une prise de position mais est tout simplement le résultat d'avoir acquis des connaissances scientifiques dans ce domaine. La température moyenne du globe qui augmente n'est pas une idéologie politique. À titre personnel, avez-vous rencontré des problèmes lorsque vous abordez ce type de sujets? Craignez-vous d'en rencontrer? Oui, bien évidemment, mais c'est uniquement dû à un manque de connaissances ou à certaines barrières psychologiques. Il faut de l'empathie et se rappeler qu'on est soi-même passé par ces étapes auparavant. De plus, on s'habitue vite à situer la personne dans son cheminement et à identifier ce qui coince. L'émotion l'emporte souvent sur la raison. Avec du temps et des explications, la situation change le plus souvent. Comment les collègues au sein de la SSMG vivent et gèrent la problématique climatique? Est-ce que certains considèrent que ce n'est pas le rôle d'une société scientifique? De manière générale, les liens entre environnement et santé sont fort méconnus des médecins. Pourtant, une fois sensibilisés et formés, ils reconnaissent qu'il faudrait plus de formations sur ces sujets (polluants, changements climatiques, biodiversité, ...) notamment dans le cursus de base des années de médecine. Je dois dire qu'il y a un réel engouement ces dernières années au sein de la SSMG pour les liens entre environnement et santé. Par exemple, l'un des thèmes de la grande semaine de la SSMG de cette année était "les changements climatiques & santé" et l'année prochaine, l'un des thèmes sera "le cabinet écoresponsable". Les cadres de la SSMG ont décidé l'année passée d'éco-responsabiliser le catering des formations avec des produits locaux, de saison, en vrac, sains et non ultra-transformés ainsi que de réfléchir à l'empreinte carbone des transports liés aux formations lointaines. Bien sûr, il reste quelques médecins qui pensent que l'environnement n'a rien à voir avec la santé à qui il faut rappeler les déclarations de l'OMS, du Lancet, de la Wonca au tout début de la formation afin qu'ils ne quittent pas trop vite la salle. Les liens entre santé et environnement vous paraissent-ils correctement appréhendés dans notre pays? Vaste question car nombreux sont les publics cibles et nombreuses sont les instances politiques, scientifiques, d'éducation ou autres qui en ont la mission. Nous avons abordé plus haut la responsabilité des professionnels de santé dans la question. La convention d'Aarhus, signée par la Belgique, stipule: "Afin de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, chaque partie (les pouvoirs publics) garantit les droits d'accès à l'information sur l'environnement, de participation du public au processus décisionnel et d'accès à la justice en matière d'environnement". C'est donc l'État qui a l'obligation de garantir à tous l'accès à l'information sur l'environnement. Malheureusement, si certaines informations sont en effet disponibles, elles sont loin d'être accessibles et compréhensibles pour tous. Peu d'efforts sont fournis par les pouvoirs publics pour informer aussi bien la population générale que le monde médical de l'état de dégradation de l'environnement et des risques encourus. Pour finir, il faudrait que la justice puisse être respectée en matière d'environnement. En effet, à côté des scientifiques, l'ONU, dont le but est le maintien de la paix et la sécurité internationale, a adopté une résolution le 28 juillet 2022. Cette résolution rappelle que "le droit à un environnement propre, sain et durable fait partie des droits humains" depuis la résolution du Conseil des droits de l'homme du 8 octobre 2021.