Une étude expérimentale menée en Belgique révèle que les médecins généralistes ont tendance à traiter différemment les patients migrants dans la prise en charge des problèmes de santé mentale. Des facteurs individuels, interpersonnels et organisationnels influencent ces décisions biaisées.
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En raison des défis associés à leur parcours migratoire et à leurs conditions de vie, les populations ayant migré présentent une prévalence plus élevée de problèmes de santé mentale par rapport à leurs homologues autochtones. Ils sont également plus susceptibles d'avoir des besoins médicaux non satisfaits et sont moins souvent orientés vers des services de santé mentale. Une explication potentielle de cette prise en charge inégale est que les médecins, tels que les généralistes, peuvent traiter différemment les patients migrants sans s'en rendre compte. D'où vient ce traitement différentiel? Une hypothèse, nourrie par la littérature sur la diversité dans les soins, est que les médecins pourraient moins humaniser les patients migrants par rapport à des patients non-migrants. À ce jour, aucune étude expérimentale n'a testé cette hypothèse. Une étude, menée par la chercheuse Camille Duveau et ses collègues de l'UCLouvain et de l'UGent, évalue l'influence de facteurs individuels, interpersonnels et organisationnels sur les décisions de 797 médecins généralistes concernant les patients migrants souffrant de dépression. Lors de cette étude, les chercheurs ont mené une expérience dans laquelle les médecins généralistes ont visionné une vidéo mettant en scène soit un patient déprimé migrant soit un patient déprimé belge. Les résultats ont montré que les différences ethniques dans les décisions des généralistes concernant le diagnostic et les prescriptions de traitement étaient significatives. Les médecins ont également considéré les symptômes du patient migrant comme étant moins graves et étaient moins susceptibles de prescrire une combinaison de traitements médicamenteux (p.ex. benzodiazépines) et non-médicamenteux (p.ex. psychothérapie) pour les patients migrants. Ces différences s'expliquent en partie par l'âge, par la charge de travail perçue par les généralistes, et par le fait que les médecins généralistes pensaient que le patient simulait ou exagérait sa détresse. Cette étude a aussi examiné l'influence de l'humanisation sur les décisions de discrimination des MG concernant les patients migrants déprimés après avoir visionné une vidéo mettant en scène soit un patient déprimé migrant soit un patient déprimé natif. La moitié des répondants ont été exposés à un texte qui humanisait le patient en fournissant plus de détails sur son histoire de vie. Par exemple, l'information humanisante indiquait que le patient était séparé de sa famille depuis sept mois ou encore qu'il avait été licencié avec quelques collègues suite à une restructuration financière de son entreprise. Les résultats ont montré que les symptômes des patients migrants étaient systématiquement jugés moins graves que ceux des patients natifs, avec ou sans histoire de vie. Pour presque tous les traitements, la décision était moins favorable pour le patient migrant. L'humanisation n'a eu que peu d'effet sur ces décisions médicales. Cependant, les auteurs ont observé que les médecins généralistes ont passé significativement plus de temps sur la vignette avec l'intervention d'humanisation, en particulier pour les patients migrants, ce qui signifie que l'ajout d'information sur la vie du patient n'a sans doute pas laissé les médecins généralistes indifférents, bien qu'elle semble avoir eu peu d'influence sur leur prescription finale. En conclusion, cette étude a montré que les généralistes peuvent traiter inégalement et de manière involontaire les patients migrants qui ont des problèmes de santé mentale par rapport à des patients belges. Les résultats indiquent que des différences ethniques dans la gestion de la dépression pourraient survenir dans les soins primaires du fait des biais de perception. Les chercheurs ont souligné la nécessité de développer des interventions, telle que le fait de sensibiliser les médecins généralistes à leurs biais ou encore conscientiser les médecins généralistes à avoir une réflexivité personnelle sur leur prise en charge multiculturelle, pour réduire ces iniquités ethniques de santé mentale.