Les Mutualités libres ont consacré plusieurs journées récemment, en collaboration avec l'asbl Job and Sense, à repenser la réintégration au travail après une incapacité. Maîtres-mots: prévention, simplification, coordination entre les médecins et politique publique. Explications avec Sébastien Alexandre, "expert représentation incapacité de travail".
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Le journal du Médecin: la situation reste préoccupante pour le moment... Sébastien Alexandre: Oui. Nous observons une hausse structurelle depuis des années du nombre de personnes en incapacité primaire (moins de 12 mois) et surtout du nombre de personnes en invalidité (à partir de 12 mois d'incapacité) qui atteint près d'un demi-million de personnes. En termes de dépenses, cela équivaut à plus de dix milliards d'euros annuels d'indemnités. Selon Statbel, qui mesure la satisfaction des conditions de vie de différents groupes sociaux, ces personnes sont moins heureuses que les pensionnés, les travailleurs, les étudiants et même les chômeurs. Ce phénomène est dû à quoi? Au fait qu'on travaille de plus en plus longtemps? Cela "compense" le chômage qui est, lui, en baisse constante? Il y a un phénomène de vases communicants. C'est ainsi qu'il faut d'ailleurs observer la sécurité sociale. Une personne au chômage, malade par ailleurs, peut "choisir" entre deux statuts et se tourner vers le plus avantageux et le plus sécure. Au-delà de cela, le vieillissement de la population active et le recul de l'âge de la pension jouent un rôle. On voit aussi un plus grand taux d'incapacité au sein du public féminin, notamment sur les troubles de la santé mentale, qui, globalement, ont explosé de 66% entre 2018 et 2021. Beaucoup de facteurs appellent à une réforme, c'est certain. Vous avez lancé plusieurs journées intitulées "Rebondir" où, j'imagine, plusieurs pistes ont été lancées? On se souvient des trajets de réintégration de Maggie De Block, renforcés par des mesures prises par l'actuel ministre de la Santé publique et des Affaires sociales... Notons que le salon "Rebondir" a été organisé par l'asbl Job and Sense dont nous étions partenaires. On peut remarquer que l'incapacité de travail ne forme une politique publique que depuis récemment. Avant, on organisait le système afin de protéger les personnes en maladie. Il n'y avait pas de trajets de retour à l'emploi pour les personnes ayant recouvert des capacités suffisantes. Le constat fait par la ministre De Block était bon. Mais heureusement, le ministre Vandenbroucke a poussé la logique plus loin car c'était insuffisant. Quelle différence entre Vandenbroucke et De Block? ...Et Dermagne et Peeters, les ministres de l'Emploi devant être associés pour définir une politique de l'incapacité de travail. Maggie De Block avait initié des trajets de réintégration, en effet. Vandenbroucke pousse plus loin en améliorant et simplifiant ces trajets et les réglementations. Il implémente des "coordinateurs de retour au travail". Il a permis, en outre, la responsabilisation des cinq acteurs: les titulaires, les organismes assureurs, les services d'aide à l'emploi, les médecins généralistes et les employeurs. Cette responsabilité est en cours ou déjà réalisée. On a parlé de 1.800 euros de "pénalité" en cas de licenciement pour raison médicale... C'est en discussion. L'employeur sera en tout cas sanctionné de 2,5% de la masse trimestrielle salariale s'il dépasse largement le taux moyen d'incapacité de travail dans son secteur. On exclut du calcul les PME (< 50 travailleurs), les seniors... Concernant ces 1.800 euros, lorsque l'entreprise licencie pour force majeure médicale, ils iraient dans un Fonds servant à de l'outplacement. 1.000 euros iraient au bénéfice de l'entreprise qui "reprend" un employé qui était en invalidité. Mais ces deux idées viennent seulement d'être rendues publiques. Au niveau OA, de quelle manière êtes-vous responsabilisés? On l'est depuis longtemps, par des sanctions sur nos frais variables si certains objectifs ne sont pas atteints. On l'est d'autant plus par les "coordinateurs de retour au travail". Ces coordinateurs facilitent le retour au travail des personnes reconnues par le médecin-conseil comme aptes. Au niveau du généraliste, certains, pensent les OA, ont la main lourde en matière de certificats... Non, pas du tout. C'est délicat. On doit défendre le droit des personnes malades à s'écarter du travail et à bénéficier d'indemnités décentes. Les médecins n'ont pas "la main lourde". Ils connaissent bien l'état de santé réel de leurs patients. Mais le médecin peut être aidé dans la connaissance (insuffisante parfois) qu'il a de l'incapacité de travail et des possibilités de retour à l'emploi. Pour le moment, le MG n'est pas suffisamment en contact avec le médecin du travail et le médecin-conseil. Il y a déjà des initiatives, et une plateforme de communication est en voie de construction entre ces trois médecins. Le budget a été validé, en tout cas. Elle doit être opérationnelle début 2025. Le MG pourra s'appuyer sur les avis des autres médecins plus spécialisés dans l'accompagnement. Les trois médecins sont complémentaires. En nombre de réinsertion, j'ai entendu le chiffre de 50.000 personnes... Est-ce exact? Vandenbroucke fait état d'études étrangères qui estiment en effet à 10% le pourcentage de personnes en invalidité qu'on pourrait réintégrer. Je serais plus prudent. C'est difficile à quantifier. Le plus important, c'est d'avoir une multitude de solutions différentes pour des situations qui sont très variables au cas par cas.