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En introduisant son webinaire de la semaine dernière consacré à l'immobilier, la Banque nationale a évoqué le niveau "vertigineux" des prix, affirmant que "l'état des lieux du résidentiel n'est pas des plus réjouissants". À juste titre ou pas? Par cette affirmation, la BNB se place clairement du côté des acheteurs, surtout jeunes et peu fortunés, et non des propriétaires... Rappelons quand même l'observation faite par nombre de banques: les acquéreurs d'un premier logement sont parfois plus jeunes que naguère. Pour deux raisons. D'abord, ils n'hésitent plus à acheter un logement "provisoire", n'attendant pas d'avoir trouvé la "maison de leurs rêves" pour devenir propriétaires. Ensuite, une majorité d'entre eux bénéficient d'un (parfois gros) coup de pouce de la famille, beaucoup plus que jadis. La BNB confirme: les bénéficiaires d'un crédit hypothécaire étaient l'an dernier âgés de moins de 35 ans dans 35% des cas, une proportion quasiment inchangée depuis 2015 ; on vient par contre de 41% en 2008. Autres observations. D'une part, la charge moyenne de remboursement des emprunteurs âgés de 18 à 34 ans (deux emplois à temps plein et au salaire moyen) a peu varié et reste inférieure à 20% de leur revenu, du moins calculée sur la totalité de la durée d'un emprunt sur 20 ans. Ceci tient toutefois compte de l'apport personnel ; celui des primo-acquérants est estimé à quelque 60.000 euros en 2021, contre 40.000 en 2018. Sans cet apport, la charge est beaucoup plus élevée: elle atteint 40% à Bruxelles et les dépasse même à Louvain et Gand. Comme la France notamment, la Belgique a connu une évolution des prix immobiliers plutôt sereine: pas d'envol au début des années 2000, suivi d'une forte chute dans le sillage de la crise de 2008-2009, comme en Espagne et surtout en Irlande. Par ailleurs, si les prix sont en hausse soutenue ces dernières années, ils ne se sont pas envolés comme en Autriche et en Allemagne, un pays qui rompt ainsi avec une longue stagnation des prix. La question n'en reste pas moins: pourquoi les prix ont-ils grimpé? Un facteur important est la hausse des revenus des ménages, plus nette et plus régulière en Belgique que dans d'autres pays, explique Christopher Warisse, économiste à la BNB. Autre raison: le reflux presque continuel des taux hypothécaires ces dernières décennies, en termes nominaux mais aussi réels, soit déduction faite de l'inflation. Du reste, si les taux ont remonté depuis le début de l'année, l'inflation a pris le mors aux dents, de sorte que les taux réels ont cette fois carrément viré au rouge! Un troisième élément ne saurait être négligé: l'attrait de l'immobilier auprès des investisseurs, dans un contexte de taux obligataires dérisoires. Ni un quatrième, plus basique: la croissance de la population, plus élevée que la moyenne européenne depuis les années 2000, surtout à Bruxelles. Comme le souligne très justement l'économiste - c'est un élément souvent perdu de vue- c'est toutefois le nombre de ménages qui détermine la demande immobilière. Or, la taille moyenne des ménages diminuant, ce nombre a plus augmenté encore que le chiffre de la population. Voilà pour la demande, mais qu'en est-il de l'offre? C'est en effet de la rencontre de ces deux éléments que dépend l'évolution des prix. Une progression de la demande générant très rapidement une hausse des prix, la question est: dans quelle mesure cette dernière entraîne-t-elle à plus long terme une hausse de l'offre de logements? Dans le langage des économistes, cela devient: quelle est l'élasticité de l'offre par rapport à la demande? L'OCDE a comparé de nombreux pays et le constat est clair: cette élasticité est, en Belgique, parmi les plus faibles: moins de 0,5, comme en France et aux Pays-Bas. Autrement dit, une hausse des prix de 1% engendre une hausse de l'offre de 0,5% à peine. Cette élasticité est proche de trois aux Etats-Unis et de deux en Suède. Parmi les causes de ce frein à la construction: la densité de la population. Comme aux Pays-Bas, la superficie bâtie dépasse 10% de la superficie totale disponible en Belgique, contre quelques fractions de pour cent à peine en Suède, par exemple! Les règles d'aménagement du territoire et les restrictions réglementaires sont d'autres facteurs. La hausse des prix sensible observée ces toute dernières années serait-elle pour autant due à une faiblesse de l'offre? Absolument pas! Aussi vrai que l'augmentation de cette offre a dépassé celle du nombre de ménages, comme l'illustre le graphique ci-contre. Pour Christopher Warisse, c'est la demande d'investissement, suite à la faiblesse des taux, qui est pour l'essentiel à l'origine de la hausse des prix. Si la Banque nationale n'établit pas de projections concernant l'évolution des prix, "nous ne prévoyons pas de baisse", tient à préciser Geert Langenus, autre économiste de la BNB. Même si le modèle utilisé par la banque indique bel et bien une surévaluation de l'ordre de 19%, au plus haut depuis quatre décennies. Ce n'est visiblement pas à prendre au tragique! Quel son de cloche chez ING, dont le service d'études a plusieurs fois pointé une surévaluation, lui aussi, prévoyant même un repli des prix? Se basant sur les prix du troisième trimestre 2021, l'étude parue en mars dernier observait, en deux ans à peine, une hausse du prix médian des maisons de 13% en Wallonie, 14% en Flandre et 16% à Bruxelles. Grâce à la baisse des taux hypothécaires et au maintien des revenus des ménages. De plus, suite du confinement, les Belges ont accordé davantage d'importance à leur logement, ressort-il d'une enquête menée par ING en été 2021. Cela fait grimper les prix, mais ne signifie pas automatiquement une surévaluation, juge cette fois la banque. Compte tenu de la hausse des taux hypothécaires et du contexte géopolitique, la hausse va-t-elle s'essouffler? En mars, ING tablait sur des prix en progression de 5,4% cette année. Mais aujourd'hui? Nous avons posé la question à Philippe Ledent, économiste senior. "Nous avons clairement revu à la baisse notre scénario de croissance, de 3 à 2%, et à la hausse celui de l'inflation, à un peu plus de 7%", déclare-t-il d'emblée. Quelle influence sur le marché immobilier? "La hausse des taux d'intérêt à long terme aura un impact négatif. À l'inverse, on observe que les Belges se tournent vers l'immobilier dans un contexte de crise, ce qui est favorable." Même chose pour l'inflation, avec des salaires indexés, sauf que l'envol des prix de l'énergie pèsera sur le budget des ménages, rectifie l'économiste. "Nous attendons toujours une hausse des prix immobiliers de l'ordre de 5% pour cette année", confirme Philippe Ledent, "mais avec une inflation à 7%, cela signifierait un recul en termes réels!" Ce que l'on pourra qualifier de stabilisation ou, pour reprendre un vocable cher au monde financier, d'atterrissage en douceur.