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Dans votre travail, il y a un côté musical, comme une scansion. Et vous lisant, je pensais aux "Gymnopédies" d'Erik Satie: il y a chez vous comme chez lui le côté beauté simple, et presque enfantin. Oui, et en même temps, le côté tellement juste et joyeusement espiègle qui est très adulte dans l'enfantin. Il y a une grande liberté chez Satie, tout en étant très construit. Ludique et profond. Je ne suis pas musicienne, mais il y a quelque chose de la musique dans mes livres, presque une orchestration. Et quand cela devient trop joli et suave, un peu comme Satie dans les Gymnopédies, j'adore placer des thématiques un peu rugueuses: les enfants aiment les choses goûtues, un peu fortes, et pas lisses. Il y a l'idée que l'on emmène le lecteur dans une sorte de ruisseau dans lequel nous allons avancer: s'y trouvent des petits cailloux, du rugueux. Les ruisseaux de montagne, qui sont les plus beaux, sont remplis de caillasse, l'eau s'y accroche, ce qui produit une musique. Il faut qu'il y ait des assonances, des rugosités dans l'écriture. On peut tout dire: il y a des choses qui passent comme cela, l'air de rien, mais les enfants saisissent le double sens très vite. On peut faire passer des réalités dures de la vie et de très belles choses également. Parfois, il y a des moments tellement beaux que l'on en ressent presque une tristesse. Et l'enfant peut également le ressentir. Je ne lui propose pas de manger un bonbon acidulé. Si l'on sait ce qui va être dit, s'il n'y a pas de rugosité, on n'entre pas vraiment dans le livre. Il en va de même pour l'écriture. Je travaille constamment les mêmes thématiques, c'est un sillon que je creuse inlassablement. Par contre, il n'est pas intéressant de rester constamment au milieu du jardin. À chaque livre, il s'agit de mettre la tête dans la haie. C'est toujours le jardin, même si cela en est la limite. La lecture, c'est offrir un jardin au lecteur mais, s'il en a envie, c'est aussi la possibilité de mettre la tête dans la haie. C'est un peu moins confortable, mais on y voit beaucoup de choses différentes. L'idée est de donner des livres qui possèdent des niveaux de lecture qui permettent d'aller se promener dans les bords du livre. Finalement, toute mon écriture est une tentative... vaine, d'où la répétition, de dire ce qu'on ne peut pas dire, de toucher quelque chose que l'on ne peut atteindre. Et donc, je picote autour et j'approche, en compagnie du lecteur. On doit essayer de toucher un instant du réel, plutôt l'effleurer, car si on le touche, il disparaît. Et vous y parvenez au moyen d'un album? Oui, car j'y glisse une image que je remodifie avec un mot. Une image peut être abstraite et un mot concret... et inversement. Certains mots sont lourds, possèdent une odeur, une présence concrète. Et une image peut-être abstraite: elle est souvent pensée, en fait. Barthes a développé la notion du punctum en photographie: on place des éléments et l'un, plus petit, un détail, vient faire résonance chez le regardeur, modifie la composition, la fait vibrer. Le punctum, c'est la toute petite chose qui surgit: nous sommes à nouveau dans le point, donc dans mon tricot (elle rit). Tout ce qui tourne autour du point me plaît énormément.