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Avec l'augmentation croissante de l'obésité dans la population belge (1) et près de 15.000 interventions de chirurgie bariatrique par an, le nombre de patients opérés à suivre à long terme augmente. Dans un récent rapport (2), le KCE préconise d'ailleurs un suivi postopératoire multidisciplinaire d'au moins deux ans, dans un centre d'expertise. Il est également question de passer le relai aux médecins généralistes. Ces derniers seraient alors invités à prévoir une biologie complète au moins une fois par an. Et pour cause: si la majorité des patients sont systématiquement supplémentés en vitamines, minéraux et protéines durant les mois suivant la chirurgie, ces compléments ne sont pas remboursés. Par conséquent, de nombreuses personnes cessent d'en prendre et/ou n'adoptent pas un régime alimentaire permettant de les prévenir. Résultat: des carences peuvent apparaître, avec des conséquences potentiellement sévères sur la santé, à court, moyen ou long terme. Le type de carence, sa fréquence, son degré de gravité et sa survenue dépendent de plusieurs paramètres. "Il y a une gradation du risque en fonction du type d'intervention", explique le Pr Benoît Navez, responsable de l'unité de chirurgie bariatrique aux Cliniques universitaires Saint-Luc . "Sauf complications type sténose entraînant des vomissements itératifs, les carences sont plutôt rares avec une gastrectomie longitudinale ("sleeve"). Mais dès que l'on rentre dans les techniques "malabsorptives", comme les bypass gastriques (3), les carences sont plus fréquentes. Et plus on raccourcit l'anse commune de l'intestin grêle - là où s'effectue l'essentiel de l'absorption nutritionnelle - plus le risque est élevé." "Tout dépend aussi des réserves de départ", ajoute le Pr Jean-Paul Thissen, son confrère endocrinologue aux CUSL. "Des patients déjà carencés ou dont les valeurs étaient "limites" avant l'intervention sont évidemment plus exposés aux déficits nutritionnels."La carence en fer est, de loin, la plus fréquente. Chez les femmes dont les règles sont abondantes, elle peut être particulièrement accentuée. Outre le risque d'anémie, un déficit en fer impacte la qualité de vie en entraînant une fatigue plus ou moins importante. "Or, la fatigue chronique n'est jamais bonne!", rappelle le Pr Thissen. "Car être fatigué favorise la sédentarité et/ou la consommation d'aliments sucrés. Ce qui, naturellement, va à l'encontre de l'hygiène de vie que ces patients sont censés adopter." Les carences en vitamine D et calcium, déjà fort répandues dans la population générale, sont aggravées par une chirurgie malabsorptive. Avec des complications osseuses de type ostéomalacie ("os mous") et une majoration du risque d'ostéoporose. Un déficit en vitamine B12 apparaît plus tardivement, souvent plus d'un an après la chirurgie. Cependant, une réserve insuffisante de départ - chez les véganes, notamment - peut accélérer le phénomène. La vitamine B9/acide folique et, plus rarement, certains minéraux (zinc, cuivre, sélénium, magnésium, etc.) peuvent aussi venir à manquer. Toutes les carences ne provoquent pas forcément de symptômes. D'autres, en revanche, sont redoutables... C'est le cas du manque de vitamine A ou de vitamine B1. "Ces déficits-là surviennent dans des contextes particuliers", explique le Pr Navez. "La carence en vitamine A apparaît lentement, après une chirurgie très malabsorptive, comme un bypass distal ou une dérivation biliopancréatique. Elle cause des troubles oculaires qui vont de la photosensibilité et la perte de vision nocturne à la cécité. Quant à la carence en vitamine B1, elle survient beaucoup plus vite, parfois dans le mois suivant la chirurgie, typiquement en cas de complications. Le patient sévèrement carencé en B1 peut présenter des troubles neurologiques, avec un risque réel de séquelles: perte de mémoire, troubles de l'équilibre, neuropathies périphériques, etc." Autre déficit, souvent sous-estimé: la carence protéinique. Elle survient généralement dans les trois mois suivant l'intervention. Pour rappel, un adulte a besoin de minimum 60 g de protéines par jour. Or, la diminution parfois drastique de la prise alimentaire, conjuguée à une moindre absorption au niveau intestinal, ne permet plus d'atteindre ce quota. "Une carence protéinique induit une hypoalbuminémie, susceptible de causer une très grande fatigue, des oedèmes dans les jambes, de l'ascite, une fonte musculaire, etc.", commente le Pr Navez. "Dans certains cas graves, ces patients doivent être réhospitalisés d'urgence, voire réopérés."Moins facile à diagnostiquer que les autres déficits, la carence protéinique peut toutefois être détectée et même prévenue grâce à une bonne anamnèse alimentaire et en dosant la préalbumine et l'urée. Une fois détectées, les carences peuvent être facilement et rapidement corrigées par la prise de compléments alimentaires adéquats. Mais pendant combien de temps? "Il y a débat sur la question", explique le Pr Thissen. "Aux CUSL, nous préconisons minimum un an de supplémentation complète en micronutriments, des apports en vitamine D et calcium à vie et, pour les femmes, du fer jusqu'à la ménopause ou une contraception adaptée - un stérilet hormonal pour supprimer les règles, par exemple." "Dans l'absolu, nous privilégions les conseils diététiques aux compléments alimentaires", ajoute le Pr Navez. "Cependant, en cas de carences ponctuelles ou chroniques, la supplémentation est nécessaire. Mais nous retombons dans le problème du coût. Dans un monde idéal, le suivi psychodiététique à long terme et les compléments alimentaires de ces patients mériteraient d'être remboursés." Un avis partagé par les experts du KCE afin d'améliorer l'efficacité à long terme de la chirurgie bariatrique.