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Les directives internationales parlent d'hypertriglycéridémie lorsque le taux sanguin de triglycérides dépasse 150 mg/dl. Le seuil pour parler d'hypertriglycéridémie sévère oscille entre 500 et 1.000 mg/dl suivant le texte de consensus que l'on consulte. L'hypertriglycéridémie est un problème relativement fréquent. Dans l'étude de population américaine NHANES, la triglycéridémie à jeun a été mesurée chez environ 10.000 personnes entre 2014 et 2017. Un peu plus de 70% de la cohorte présentait des valeurs normales (< 150 mg/dl), un peu plus de 10% se situait entre 150 et 200 mg/dl et 10%, entre 200 et 500 mg/dl. Une petite fraction affichait des valeurs encore plus élevées. Environ 30% des sujets sous statines souffraient d'hypertriglycéridémie. Parmi les patients traités dont le taux de cholestérol LDL était inférieur à 100 mg/dl, cette proportion était de 27% ; la part des patients souffrant d'hypertriglycéridémie augmente avec le taux de cholestérol LDL pour atteindre 45% dans le groupe où cette valeur est ? 160 mg/dl. Dans une étude portant sur 116.000 personnes issues de la population générale reprises dans une base de données danoise, les patients avec des taux de triglycérides de 177 mg/dl ou plus affichaient un risque d'infarctus de deux à trois fois supérieur à celui des sujets affichant des valeurs normales. Au-delà de 400 mg/dl, le risque était même accru d'un facteur trois et demi. Ces données observationnelles trahissent donc un risque cardiovasculaire accru en présence de taux de triglycérides élevés... et ce n'est pas tout. Chez les personnes qui présentaient des valeurs supérieures à 350 mg/dl, les chercheurs danois ont observé un risque de pancréatite aiguë accru d'un facteur quatre à huit. Des recherches ont démontré que des taux très élevés de triglycérides (> 880 mg/dl) se retrouvent surtout chez les patients qui présentent une anomalie monogénique - comprenez, au niveau d'un seul gène impliqué dans le métabolisme des triglycérides. Ce groupe représente environ 1% de la population. "Ces individus affichent souvent déjà des taux de triglycérides extrêmement élevés à un âge très précoce, parfois dès 15 ou 25 ans. C'est un signal d'alarme. Il s'agit dans ce cas de personnes avec des antécédents familiaux de pancréatite aiguë et d'événements cardiovasculaires", précise le Pr Mertens. Dans le groupe qui présente des taux de triglycérides situés entre 200 et 800 mg/dl (hypertriglycéridémie légère à modérée), il sera question d'une anomalie multigénique. Ce groupe représente 28% de la population et, dans ce cas de figure, le problème fait également intervenir des facteurs non génétiques comme l'obésité, le syndrome métabolique, un régime hypercalorique (riche en lipides, à haut indice glycémique), un diabète mal régulé ou la consommation d'alcool. Il conviendra par ailleurs d'exclure un certain nombre d'autres maladies/situations susceptibles de contribuer à l'hypertriglycéridémie: ? Une hypothyroïdie. ? Une insuffisance rénale aiguë ou chronique (protéinurie, urémie, glomérulonéphrite). ? Une grossesse, en particulier au cours du troisième trimestre, sous l'effet des taux d'oestrogènes élevés. ? Une paraprotéinémie. ? Un lupus érythémateux systémique. Les médicaments constituent un autre élément important dans la survenue d'une hypertriglycéridémie. "Il convient de souligner que les molécules concernées ne provoquent pas d'hypertriglycéridémie chez la majorité des patients", précise Ann Mertens. "Si l'on constate une hypertriglycéridémie chez un sujet donné, il sera toutefois important de passer en revue ses traitements médicamenteux. Une nouvelle molécule a-t-elle été introduite entre l'analyse sanguine sans hypertriglycéridémie et celle où les valeurs sont soudain accrues?" ? Les corticoïdes sont un premier premier point d'attention. Le Medrol peut provoquer une hypertriglycéridémie, en particulier lorsqu'il est utilisé de façon prolongée à des doses élevées. Cet effet tient notamment à la résistance à l'insuline, qui se reflète aussi dans une glycémie sanguine accrue. ? Les oestrogènes oraux ont un effet direct sur la synthèse de lipoprotéines de très faible densité, dont ils inhibent en outre la clairance. ? Le tamoxifène. ? Les thiazides. ? Les bêtabloquants non-cardiosélectifs. ? Les inhibiteurs de protéase. ? Les antipsychotiques et antidépresseurs. La première mesure à prendre sera la perte de poids: une réduction du poids corporel de l'ordre de 10% induit une diminution de 20% du taux de triglycérides. L'alimentation doit mettre l'accent sur les fruits et légumes et éviter les aliments qui contiennent des sucres ajoutés. Les lipides seront limités, parfois à 33-50% du total des apports caloriques. En combinaison avec une dose suffisante d'activité physique, l'ensemble des mesures portant sur le mode de vie peut induire une baisse du taux de triglycérides pouvant aller jusqu'à 50%. "Aucun médicament ne permet d'obtenir un tel résultat. Ces mesures sont donc vraiment une première intervention incontournable." Un certain nombre de médicaments permettent néanmoins d'obtenir une réduction assez spectaculaire des taux de triglycérides. C'est le cas de l'acide nicotinique et des fibrates, qui donnent une réduction de 20 à 50%. Malheureusement, l'effet sur les critères d'évaluation durs est assez décevant ; avec l'acide nicotinique, aucun bénéfice n'a même pu être établi sur ce plan. L'étude FIELD n'a pas non plus trouvé d'effet cardiovasculaire bénéfique du fénofibrate chez des sujets diabétiques [1]. Une seconde analyse des chiffres a en outre révélé que certains patients étaient également traités par statines, et que c'étaient justement ces personnes qui affichaient une amélioration du risque cardiovasculaire (en particulier pour ce qui concernait l'infarctus du myocarde). La conclusion est que les fibrates abaissent bien les taux de triglycérides, mais sans agir sur les critères d'évaluation durs en prévention secondaire. Ou c'est du moins le cas pour les fibrates dont nous disposons à l'heure actuelle. Le pemafibrate, une nouvelle molécule qui possède une sélectivité plus élevée pour le PPARa que les fibrates plus anciens, a été testé dans un essai clinique auprès de 10.000 patients diabétiques de type 2 qui a été clôturé en septembre dernier, et dont les résultats sont attendus dans le courant de cette année. Dans le sillage de l'étude FIELD, les directives préconisent le recours à une statine pour le traitement de première ligne de l'hypertriglycéridémie (> 200 mg/dl) chez les patients à haut risque (prévention secondaire). Il s'agit d'une recommandation de classe I. Les statines abaissent les taux de triglycérides de 7 à 30%. Depuis 2019, on préconise également la prise d'acides gras oméga-3 chez les patients dont le taux de triglycérides reste entre 135 et 500 mg/dl en dépit d'un traitement par statines. Cette recommandation repose sur l'étude REDUCE-IT, dans laquelle un traitement par AEP à raison de 4 g/j a permis d'obtenir une réduction de 25% des critères d'évaluation cardiovasculaires durs dans une population diabétique ou porteuse d'antécédents cardiovasculaires [2]. Dans l'étude STRENGTH, aucune différence n'a par contre été observée au niveau des critères d'évaluation cardiovasculaires avec une combinaison d'AEP et d'ADH [3]. "Ces résultats sont difficiles à interpréter et ont déjà suscité d'âpres débats lors des congrès", commente le Pr Mertens. "Certains commentateurs avancent que le placebo n'était pas le même dans les deux études et que cela pourrait expliquer les différences observées. Il faudra voir si le recours à l'AEP en cas d'hypertriglycéridémie reste recommandé." Les directives se prononcent aussi sur la place des fibrates. En prévention primaire, on peut envisager d'y avoir recours en combinaison avec une statine chez les patients qui ont atteint leur cible pour le cholestérol LDL, mais qui présentent encore des taux de triglycérides trop élevés (> 200 mg/dl). Il s'agit cette fois d'une recommandation de classe II, basée sur une étude unique. L'utilisation des fibrates en combinaison avec une statine chez les sujets à haut risque qui ont atteint leur cible pour le cholestérol LDL mais qui présentent encore des taux de triglycérides trop élevés est une recommandation de classe II qui n'est actuellement étayée par aucune étude. Classiquement, le dosage des triglycérides se fait sur la base d'un échantillon de sang prélevé à jeun. Néanmoins, il est un fait que les patients ne sont pas à jeun la majorité du temps. Des études ont démontré que, pour les taux de cholestérol LDL, la différence moyenne entre les valeurs mesurées à jeun et les autres n'est que de 8 mg/dl. Pour les triglycérides, elle s'élève à 25 mg/dl. Ces différences ne sont toutefois pas pertinentes d'un point de vue clinique. Les corrélations avec les critères d'évaluation cardiovasculaires sont comparables pour les valeurs mesurées à jeun et celles qui ne le sont pas, voire légèrement supérieures pour les secondes. Chez les sujets avec des taux de triglycérides élevés, on recommande néanmoins malgré tout d'effectuer les mesures à jeun pour déterminer si la formule de Friedland reste d'application (chol LDL = chol total - chol HDL - triglycérides). Cette formule ne peut en effet être utilisée qu'avec des taux de triglycérides inférieurs à 400 mg/dl ; au-delà de ce seuil, elle donne des taux de cholestérol LDL faussement faibles. Dans ce cas de figure, les décisions thérapeutiques touchant au cholestérol devront être prises sur la base du cholestérol non-HDL.