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Né avant la Première Guerre, notamment au travers du manifeste publié en 1909 par Marinetti dans Le Figaro, le futurisme, d'abord italien et se revendiquant comme tel, va tenter de se diffuser en Europe. Entre autres au travers d'une exposition itinérante qui fit halte à Paris, Londres, Bruxelles, Copenhague, mais aussi La Haye, Rotterdam et Amsterdam, et d'un autre manifeste, "Ricostruzione futurista dell'Universo" de Bella et Depero, en 1915 (après celui de la peinture en 1910, de la sculpture en 1912 et de l'architecture en 1914). L'exposition débute par une restitution partielle des oeuvres présentes lors de cette manifestation. Elles exhalent le mouvement, la vitalité, la fragmentation et la répétition. À côté d'un Severini cubiste dans "Le Boulevard" en 1911, "La gare de Milan" de Cassa la même année est à la fois pleine de mouvements et d'ombres, tandis que "La révolte" de Russolo est d'une modernité contemporaine, et colorée d'une vitesse, sentiment procuré par la présence de grands chevrons. Étonnamment Balla et son "Bambina che corre sul balcone" se révèle plus tachiste... que fasciste. Un an plus tard, en 1913, le même Balla choisit un rare sujet animalier dans le futurisme: un "Vol d'hirondelles" qui rappelle celui d'étourneaux dans leur mouvement. Boccioni dans "La force d'une rue", en 1911, exprime une rage et une puissance étonnantes dans un avant-gardisme stupéfiant pour l'époque, et signe une statue de personnage en marche intitulé "Formes uniques de la continuité dans l'espace", qui annonce, en plus ailé et puissant, "L'homme qui marche" de Giacometti. Car le futurisme aborde également la 3D, lui qui trouve le cubisme trop sage, dans une sculpture "polymatérielle" utilisant des matériaux non artistiques, version en relief des collages cubistes encore, de Picasso et Braque, et qui annoncent les dadaïstes. L'exposition, qui se veut globale, illustre les échanges qui ont existé avec des mouvements comme le constructivisme, le Bauhaus ou De Stijl. Ainsi le grand cheval cubiste de Duchamp-Villon de 1914 est confronté avec une ligne de force de Balla notamment. Ce dernier, en compagnie de son cadet Depero, développe les "complexes plastiques" en 1914 -15: Marinetti signe une peinture en relief en matériaux usuels face à celle de Jean Arp faite de bois, Bella un complexe plastique de bruit et vitesse, gris et noir et armature aluminium, lequel se mesure aux dessins, notamment de gondolier, d'Archipenko ou de danseuses de Van Doesburg. La cité futuriste est illustrée notamment par une peinture, "Demostrazione interventista", qui transpire la violence, à côté d'un Carra intitulé "Ce que m'a dit le tram", très "Un tramway nommé désir" en effet. Des maquettes trônent dans cet espace: un gratte-ciel de Mies van der Rohe qui vient confirmer les envies de hauteurs et de gigantisme d'Antonio Sant-Elia (la centrale électrique) et son compère Mario Chiattonne. Tatlin en Russie et Gropius en Allemagne confirment dans des monuments du souvenir l'usage de cette flèche turgescente censée être la métaphore du progrès et de la modernité. Les projets de villes des deux Italiens voisinent avec ceux tout aussi démesurés de Le Corbusier. Aux côtés des peintures de Ugo Pozzo (un "Cosmopolis" étonnamment figé) et un Depero rutilant ("Gratte-ciel et tunnel"), les collages photographiques de Paul Citroën qui est... berlinois sont surplombés par des extraits de "Metropolis" de Fritz Lang. Leur font face des photos constructivistes de Lissitzky, voisinant avec un projet de kiosque de Depero et une maquette de café de Oud, hollandais disciple du Stijl. Le futurisme se veut un art total (et parfois totalitaire dans le cas notamment de Marinetti, passé au fascisme) que l'on retrouve jusque dans la calligraphie: Cangiullo signe un tableau de grande foule "Piazza del Popolo", uniquement en lettres et mots comme "Nonna", "FFFFFiiiischia", "Prepotenza", "Campagna"..., qui pourtant procure un sentiment étonnant de foultitude et de cris. Balla fait de même dans un dessin intitulé "Plastic noise" mélangeant dessin simplifié et mots. Ailleurs, d'autres artistes reprennent cette approche: Rezanova dans sa série typographique gouachée et ses publicités, ou Sonia Delaunay et Blaise Cendrars dans "La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France". Nikolaï Kulbin, né à Helsinki, tire un portrait abstrait de Marinetti en '14. Lequel signe un "Sintesa futurista de la guerra" en 1914, où l'on voit son amour de la guerre qui, sous forme de flèche abritant notamment Serbie, Belgique, France, Russie et bien sûr Italie, enfonce un cercle formé par l'Allemagne et l'Autriche affublées d'"une crétinerie germanique" (sans doute que le Duce n'a jamais vu cette publication par la suite...). Enfin, toujours dans le même espace, la vidéo de l'"Anémic cinéma" de Duchamp complète la typographie clandestine de Buzzi, dont elle imite le côté vis sans fin. La dernière salle imaginée par le commissaire italien Fabio Benzi - qui participa à la rétrospective Jules Schmalzigaug, seul futuriste belge, à Ostende en 2017 - montre à quel point ce mouvement, dans la lignée du Arts and Crafts, se conçut comme un mouvement radical et total, réfutant le passé pour regarder vers l'avenir, et qui voulait s'imposer jusque dans la vie quotidienne. Créations textiles, tapisseries, mobilier, projets de lampes, paravents de Balla (qui crée également des services à la même époque que Kandinsky) à la manoeuvre une fois encore avec Depero, est mis en regard d'un autre de Duncan Grant du Bloomsbury Group. Les chaises de Pannaggi se mesurent à celle de Rietveld tout aussi épurée, son luminaire ressemblant étrangement à la lampe de Balla qui la voisine. Ce même Balla signe une tapisserie jamais montrée depuis sa présentation à l'Exposition des arts décoratifs de Paris en 1925, puisqu'elle était dans une collection privée, colorée, quasi cubiste et modestement intitulée... "Le génie futuriste". Le théâtre lui-même est touché par ce mouvement dont les "Danses plastiques" influenceront les décors de théâtre de Malevitch en Russie, ou le théâtre mécanique du Bauhaus: projets de décors, costumes, de Picasso, Larionov, Prampolini, Kandinsky entourent la vidéo du ballet mécanique de Fernand Léger. L'infatigable paire italienne Depero-Balla imagine même des jouets futuristes, voire des intérieurs de discothèque ou de café: la discothèque "Le Bal Tic Tac" à Rome pour Balla (deuxième au monde après "Le Café Pittoresque" de Moscou inspiré du... futurisme) ou le "Cabaret del Diavolo" dans la même ville par Depero. Le dernier objet ou presque de cette expo 360° - d'une richesse comparable à celle présentée au Palazzo Grassi de Venise dans les années '80, ou au Guggenheim de New York en 2014 -, d'un mouvement qui l'était tout autant, c'est une petite bouteille de Campari d'une folle modernité imaginée par Depero en 1925. Où l'on voit comment dans son amour de la modernité, de l'industrialisation, de la simplification élégante et du dynamisme, le futurisme a irrigué le design italien depuis.