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"C oronavirus oblige, nous avons été forcés de revoir la programmation des événements de la Fapa", explique le Pr Eric Van Cutsem du service de gastroentérologie de l'UZ Gasthuisberg à Louvain, vice-président de la Fapa et président de la Fondation contre le Cancer. " Nous avons donc décidé d'entrée de jeu d'organiser notre journée du patient et notre session scientifique au cours du mois international de lutte contre les cancers intestinaux." L'asbl Fapa ( Familial Adenomatous Polyposis Association) a été fondée en 1993 dans le but de parvenir à un meilleur encadrement des personnes atteintes d'une polypose adénomateuse familiale (PAF), une forme de cancer de l'intestin à transmission héréditaire. Depuis 2012, l'association vise toutefois également le syndrome de Lynch, qui présente lui aussi un caractère génétique. Elle bénéficie pour son fonctionnement du soutien financier de la Fondation contre le Cancer. L'élaboration de registres de patients occupe une place fondamentale dans les activités de la Fapa. Ces registres permettent d'accéder à des données spécifiquement belges concernant ce groupe de malades pour tout ce qui concerne par exemple l'épidémiologie, l'effet d'un traitement donné ou les besoins encore non rencontrés. Ils rendent aussi possible le traçage des sujets porteurs à leur insu d'une mutation génique associée au PAF ou au syndrome de Lynch. Les patients repris dans le registre peuvent en outre être conviés à participer à des groupes de travail, des groupes de réflexion ou des journées d'information. " Les patients sont nombreux à aspirer aux contacts avec d'autres malades", explique le Pr Van Cutsem. " Ils apprennent les uns des autres comment gérer au mieux leur affection. Nous organisons aussi des conférences où des experts viennent parler de l'impact quotidien de la maladie au départ de leur domaine de compétence spécifique - l'alimentation, le bien-être psychologique, le fonctionnement sexuel, les soins de stomie, etc. C'est ce que nous ferons également ce 27 mars, avec une table ronde où les orateurs auront l'occasion de prendre la parole aux côtés des patients." L'asbl Fapa peut s'appuyer sur la collaboration des sept hôpitaux universitaires et des huit centres de génétique humaine que compte notre pays. Il s'agit d'un réseau multidisciplinaire avec pour principaux partenaires des généticiens, oncologues, gastroentérologues, pathologistes et chirurgiens. La polypose adénomateuse familiale (PAF) s'accompagne du développement, dans le côlon, de centaines voire de milliers de polypes susceptibles de dégénérer en cancer de l'intestin. La PAF est une maladie héréditaire rare qui se transmet sur un mode autosomique dominant, provoquée par une mutation du gène APC ou parfois du gène MUTYH. Au vu du mode de transmission des mutations APC, les enfants d'un sujet porteur ont une chance sur deux d'en hériter. La Belgique compte un peu moins d'un millier de patients PAF, dont une grande partie figurent dans le registre de la Fapa, précise Eric Van Cutsem. " Les premiers polypes apparaissent généralement vers l'âge de 10 à 15 ans. Chez les porteurs de la mutation, nous débuterons donc le dépistage endoscopique vers l'âge de 12 à 13 ans." Après leur apparition, les polypes de la PAF peuvent dégénérer en adénocarcinome en l'espace de cinq à dix ans. C'est pour cette raison que les patients porteurs de polypes subissent une colectomie prophylactique. " Lorsque les polypes sont bénins et de petite taille, il arrive toutefois souvent que l'intervention soit retardée jusqu'au début de l'âge adulte, car il est délicat d'y soumettre un adolescent." Malheureusement, la PAF ne touche pas que le côlon. Un peu plus tard dans la vie, on observe également le développement de polypes dans le duodénum et parfois même dans l'estomac ou l'intestin grêle ; c'est pour cela que les patients se voient proposer en temps utile un dépistage endoscopique de l'estomac et du duodénum. Dans quelques rares cas, on rencontre aussi des anomalies de la thyroïde ou des tumeurs testiculaires. Lorsqu'un diagnostic de PAF est posé chez un patient, ses parents au premier degré (frères, soeurs, enfants) sont invités à se soumettre à un dépistage de la mutation APC ; il existe pour cela un test génétique fiable reposant sur une analyse sanguine. Si un porteur est identifié, il ou elle recevra des recommandations pour le dépistage. Le syndrome de Lynch - également appelé cancer colorectal héréditaire sans polypose - est une maladie beaucoup plus complexe. Il se transmet également sur un mode autosomique dominant et est provoqué par des mutations des gènes impliqués dans la réparation des mésappariements de l'ADN ( DNA mismatch repair). " Au cours de la division cellulaire, il se produit chez chacun d'entre nous des erreurs dans la réplication de l'ADN", clarifie le Pr Van Cutsem. " Notre corps dispose de gènes spécialisés dans la réparation de l'ADN, qui se chargent de corriger ces anomalies. Lorsqu'une mutation touche l'un de ces gènes, la réparation de l'ADN ne peut plus se faire correctement, avec à la clé toutes sortes d'anomalies." La plus fréquente de celles-ci est le cancer colorectal. Dans ce cas de figure, le processus malin ne se développe toutefois pas en présence de centaines de polypes mais de quelques lésions seulement... et il est beaucoup plus rapide que dans la PAF, ce qui impose des coloscopies beaucoup plus fréquentes. Les tumeurs apparaissent généralement entre 25 et 40 ans, ou parfois plus tard... voire pas du tout. Les porteurs d'une mutation pertinente ne développent en effet pas tous un cancer du côlon: la pénétrance du gène muté est de 80% environ, ce qui signifie que la maladie ne se manifestera "que" chez huit patients sur dix. Une colectomie prophylactique ne se justifie pas dans le syndrome de Lynch. Les personnes porteuses d'une mutation de l'un des gènes responsables de la réparation de l'ADN peuvent également, justement parce que c'est ce mécanisme qui est touché, développer des tumeurs au niveau d'autres organes. Parmi les femmes, quatre porteuses sur dix développeront ainsi un cancer de l'endomètre. On observe aussi dans certaines familles atteintes du syndrome de Lynch une accumulation de cas de l'un ou l'autre cancer gastro-intestinal (autre que celui du côlon), comme par exemple un cancer de l'estomac, des voies biliaires, de l'intestin grêle ou du pancréas, ou encore de cancers des voies urinaires. Le risque de cancer ovarien est lui aussi légèrement accru. Le dépistage génétique du syndrome de Lynch est organisé dans les familles avec plusieurs cas de cancer du côlon. " D'autres situations peuvent toutefois également mettre la puce à l'oreille, par exemple lorsqu'un homme développe un cancer du côlon à un âge relativement précoce (à la quarantaine) tandis que sa soeur est victime d'un cancer du col vers le même âge", précise le Pr Van Cutsem . Si le patient index s'avère porteur d'une mutation, un test génétique sera également proposé aux parents au premier degré. S'ils sont porteurs également, ils pourront bénéficier d'un suivi avec coloscopie tous les deux ans (généralement à partir de 20-25 ans). Les femmes chez qui la mutation est présente bénéficieront d'un dépistage par échographie intravaginale à partir de 30 ou 40 ans. Et dans les familles où il y a plusieurs cas de cancer de l'estomac, par exemple, on y ajoutera une gastroscopie annuelle. " Dans le syndrome de Lynch, ce n'est donc pas seulement la stratégie de prise en charge mais aussi la communication avec le patient qui peut être passablement complexe", observe l'oncologue . "Une approche multidisciplinaire est nécessaire parce que ces patients entrent dans le système de soins par différentes voies - le centre de génétique humaine, le gynécologue, le gastroentérologue, le chirurgien, etc."