Dans les couples où le désir sexuel est en berne, l'ouverture à un "nouvel érotisme" est, comme dans bien d'autres troubles sexuels, une des voies les plus sûres pour trouver ou recouvrer une sexualité épanouissante.
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Un trouble sexuel a habituellement une coloration biopsychosociale. Sur le plan organique, le diabète, par exemple, peut endommager les vaisseaux sanguins et nuire ainsi, chez l'homme, à l'afflux de sang dans les corps caverneux de la verge. Il peut également affecter la production de testostérone et certains nerfs impliqués dans l'érection. Chez la femme, l'endométriose conduit parfois à une dyspareunie profonde caractérisée par des douleurs résultant du contact de la verge avec le fond du vagin lors d'un rapport sexuel avec pénétration. Deux illustrations parmi d'autres de problèmes organiques susceptibles de contrarier la vie sexuelle. Le vieillissement n'arrange rien ; avec l'âge, le corps ne répond plus avec la même efficacité. Comme le souligne Philippe Kempeneers, psychologue clinicien et sexologue, "l'incidence grandissante des problèmes vasculaires, hormonaux, neurologiques et autres se reflète par exemple dans les taux de dysfonctionnement érectile qui croissent de manière importante en fonction de l'âge". La ménopause, elle, peut infliger à un pourcentage important des femmes une baisse de la libido et une sécheresse vaginale, notamment. Dans la sphère de la sexualité, les troubles organiques s'accompagnent presque invariablement de difficultés psychologiques, telle une baisse de la confiance en soi, en ses capacités de mener à bien une relation sexuelle "réussie". Les scripts dominants évoqués dans d'autres articles de ce dossier jouent un rôle délétère à ce niveau, puisqu'ils restreignent le champ de l'érotisme. Par le biais de normes culturelles intériorisées, ils dictent en quelque sorte la voie à suivre vers le "succès", présenté comme indissociable de la performance. En l'absence d'affections organiques ou d'une érosion des capacités du corps liée à l'âge, ces représentations normatives constituent la principale clé de voûte des troubles sexuels. Dans le vieillissement s'ajoute le poids de bouleversements psychosociaux qui lui sont propres, tels la retraite professionnelle et le sentiment d'inutilité qu'elle engendre souvent ou la présence accrue du ou de la partenaire à ses côtés. "L'équilibre existentiel antérieur est remis en question, ce qui peut être source de malaises plus ou moins anxieux, plus ou moins dépressifs de nature à entraîner une chute de la libido", dit Philippe Kempeneers. Face à un couple vieillissant, il faut également tenir compte des affres des routines et habitudes, des outrages que les ans infligent au corps - spécialement au corps de la femme eu égard à la place occupée par les stimulations visuelles dans l'émoi érotique masculin - ou encore du stéréotype du "vieillard asexué". "La modification du fonctionnement érectile est souvent prise à tort pour le premier signe de dégradation du potentiel sexuel dans son ensemble", explique le sexologue. "L'homme âgé y voit fréquemment l'amorce d'une extinction inéluctable de sa sexualité, de sorte qu'il tend à ne pas consulter et, de ce fait, se prive des conseils qui lui permettraient d'adapter son comportement sexuel aux nouvelles contingences organiques." L'homme est généralement considéré comme responsable de l'arrêt des activités sexuelles dans un couple. Toutefois, il s'agit d'une approche réductrice, nombre de femmes étant enclines à s'y résigner aussi, quelquefois à le souhaiter. "Par exemple", écrivait Philippe Kempeneers dans Patient Care Gynécologie, "le coït peut ne plus susciter le même engouement à 60 ans qu'à 30, surtout s'il devient trop long du fait d'une éjaculation plus tardive chez le partenaire. Pire même, le coït peut n'avoir jamais été apprécié par Madame." C'est ici qu'il convient de détricoter les scripts dominants qui, en Occident, érigent l'orgasme coïtal en finalité du rapport sexuel. En ouvrant le champ des représentations et des gestes érotiques, il existe de nombreuses possibilités de répondre au défi adaptatif nécessité par un corps modifié et de connaître (encore) un épanouissement sexuel. L'arsenal pharmaco-chirurgical peut en outre venir en soutien d'une sexothérapie pour restaurer des facultés érectiles mortes ou essoufflées. "Techniquement, il est toujours possible de bander", déclare notre interlocuteur. La philosophie d'intervention est la même dans la prise en charge des couples en proie à une perte du désir dans le chef d'un ou des deux partenaires. Dans un premier temps, il convient de faire la part des choses. N'y a-t-il pas des facteurs biomédicaux, comme une déficience hormonale, ou psychobiologiques, comme une dépression et le traitement médicamenteux associé, qui impactent le désir? "Ces difficultés méritent une considération préalable ou parallèle à toute autre entreprise thérapeutique", souligne Philippe Kempeneers. Par ailleurs, il faut s'assurer que d'autres facteurs, étrangers à la sphère proprement dite de l'érotisme et des pratiques sexuelles, ne conditionnent pas l'érosion ou la chute du désir au sein du couple - conflits conjugaux, vécus traumatiques d'abus, rancune, culpabilité, défaut de communication sexuelle, routine... Le plus fréquemment, les problèmes de désir sexuel hypoactif dans les couples relèvent d'une causalité multiple. Aussi les traitements proposés sont-ils habituellement multifocaux, car devant viser plusieurs cibles. Philippe Kempeneers estime cependant que deux axes principaux de prise en charge se dégagent: l'un concerne la gestion des "sensibilités érotiques" ; l'autre, la résolution des conflits conjugaux. C'est le premier qui intéresse la sexothérapie en tant que telle. La voie suivie est généralement celle préconisée dans les années 1960 par les sexologues américains William Masters et Virginia Johnson. Elle passe par l'information et la pédagogie et consiste in fine à discréditer les scripts (dominants) qui confinent l'érotisme dans un carcan et à en valoriser d'autres. "L'idée est de permettre au couple d'essayer de faire l'amour autrement, de développer une sensibilité alternative. En effet, l'érotisme ne consiste pas nécessairement à avoir une érection ou un orgasme, mais à éprouver du plaisir au niveau du corps, parfois de nature sensorielle plutôt que sexuelle", dit Philippe Kempeneers. Une technique très prisée dans ce cadre consiste à proposer au couple des exercices de focalisation sensorielle (sensate focus, en anglais). Sa mise en oeuvre est centrée sur le principe de "l'interdit génital". Il s'agit pour les partenaires de se prodiguer des "caresses désintéressées" (selon la terminologie de Masters et Johnson) avec les mains, les fesses, les seins, etc., mais en évitant la région génitale, leur but étant de promouvoir une exploration sensorielle plutôt que de provoquer des réactions spécifiques d'excitation. Les partenaires doivent se réapproprier du plaisir dans un contexte non anxiogène, c'est-à-dire sans aucun but de performance. Cette libération de l'esprit favorise corrélativement le retour progressif de sensations génitales. Alors, dans un deuxième temps et à un pas de sénateur, les organes sexuels seront inclus dans les caresses, attouchements, massages. "On attend du couple qu'il soit capable d'optimiser son rapport au plaisir", commente Philippe Kempeneers. Viendra ensuite le retour à la possibilité d'une sexualité pénétrative, mais une sexualité exempte d'anxiété de la performance, parce que devenue ouverte à la multiplicité des facettes de l'érotisme et donc à un éventail élargi de sensations. Cette philosophie générale qui confère des lettres de noblesse à l'érotisme non coïtal peut être mise en oeuvre en réponse à la plupart des dysfonctions sexuelles. L'éjaculation précoce, par exemple. Ou le vaginisme, qui rend quasi impossible la pénétration dans le vagin. "Cette contraction réflexe des muscles du vagin reflète une phobie de la pénétration", explique notre interlocuteur. "Sa prise en charge nécessite un programme d'exposition avec désensibilisation systématique au cours duquel la femme va d'abord s'explorer elle-même, se toucher au niveau vaginal et s'essayer graduellement à quelques pénétrations, en utilisant initialement ses doigts, puis des objets de tailles variées, comme, par exemple, des dilatateurs vaginaux spécialement conçus à cet usage. Ce n'est que très progressivement que quelques tentatives de pénétration pourront être envisagées avec le partenaire. D'abord, avec ses doigts ou des sex-toys, mais toujours sous le contrôle de la femme. La réintégration très progressive du sexe coïtal pourra ensuite être envisagée en tant que dernière étape du programme d'exposition avec désensibilisation systématique. Mais ces techniques d'exposition ne s'envisageront pas sans que l'on ait veillé par ailleurs à ce que l'éventail des comportements et sensibilités érotiques soit largement déployé, sans que l'on se soit assuré d'avoir 'nettoyé' la relation d'éventuels scripts inadéquats."Parfois dans les troubles de l'érection, la sexothérapie et les IPDE5 (Viagra®, Cialis®...) ne peuvent suffire en raison de dysfonctions organiques. Par exemple, en cas de non-conservation des bandelettes neurovasculaires au cours d'une prostatectomie totale, la personne doit se résoudre à continuer de profiter des plaisirs de l'intimité dans les limites physiologiques qui lui sont imposées. Cependant, l'érection lui reste accessible moyennent le recours à des injections intracaverneuses de prostaglandines, à une pompe à pénis ou encore à un implant pénien.