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Comment les cellules tumorales se propagent-elles? C'est ce qu'essaie de comprendre l'équipe du Pr Olivier Feron, chercheur à l'Institut de recherche expérimentale et clinique de l'UCLouvain. "En 2016, on a démontré que, dans certaines circonstances, les cellules cancéreuses que Von avait toujours présentées comme étant très avides de glucose, pouvaient oublier complètement ce dernier et utiliser des acides gras comme sources d'énergie. Par conséquent, en ciblant le métabolisme du glucose, on pouvait rater toute une série de cellules dont le métabolisme dépend des acides gras et qui sont les plus agressives."Ensuite, ces chercheurs se sont rendu compte que les cellules cancéreuses stockent ces acides gras. Pourquoi? " On a démontré que quand elles quittaient l'environnement originel au niveau de la tumeur primaire, les cellules tumorales emmènent avec elles ces stocks de lipides. Mais, quand on retire une cellule tumorale de son environnement immédiat, même si elle a accès à tous les nutriments qu'elle veut dans le sang circulant, elle n'est pas capable de les utiliser. Comme si une cellule qui est en train d'envahir ne peut pas tout faire en même temps, son métabolisme est dépendant de ses réserves: des stocks de glucose sous forme de glycogène, et aussi, comme on l'a démontré, des stocks d'acides gras dans des gouttelettes lipidiques. C'est le même mode de stockage que dans les adipocytes, ils peuvent être mobilisés par lipolyse intracellulaire", explique-t-il.Ces chercheurs ont prouvé que certaines cellules peuvent shifter d'un métabolisme glucidique vers un métabolisme lipidique, qu'elles utilisent directement ces acides gras et qu'elles peuvent en stocker. " Ce stockage est essentiel quand les cellules métastasent parce que c'est là qu'elles ont besoin d'énergie et que la seule source d'énergie pour ces cellules agressives, c'est précisément ce stock de lipides, ajoute-t-il. "Cibler le métabolisme des glucides n'a d'intérêt que pour essayer d'agir sur la tumeur primaire. Quand on parle des métastases, il faut cibler le métabolisme des lipides, essayer de juguler cette capacité accrue à stocker les lipides."L'équipe d'Olivier Feron a identifié le TGF-beta2 comme étant l'interrupteur responsable du stockage des lipides et du caractère agressif des cellules tumorales, c'est le lien entre acidose tumorale et métabolisme des lipides : l'acidité qui règne dans les tumeurs favorise, via cette cytokine, le potentiel invasif et la formation de gouttelettes lipidiques qui offrent aux cellules invasives l'énergie pour quitter la tumeur primaire et se déplacer, tout en résistant aux conditions hostiles rencontrées pendant le processus de métastati-sation.Parmi les pistes thérapeutiques, on peut cibler directement le TGF-beta2. "Il existe déjà une molécule en clinique, le trabedersen, un oligonucléotide antisens dirigé contre le TGF-beta2 et développé contre le neuroblastome. C'est un petit peu inhabituel, parce qu'il n'y a pas beaucoup d'oligonucléotides antisens qui ont fait leur route jusqu'au patient, fait observer Olivier Feron. Les indications de cette molécule pourraient être étendues, non pas contre le développement d'une tumeur primaire, mais dans un contexte de tumeur agressive et de réduction métastatique."" Ce qui est assez intéressant c'est que, quel que soit le type de tumeur, il y a hypoxie et acidose, et les mécanismes dont on parle ici sont partagés par différents types de tumeur", précise-t-il. " On peut donc parler de chimiothérapie au sens d'une molécule active sur plusieurs types de cancer différents mais, à la différence des chimiothérapies conventionnelles qui tirent sur tout ce qui est en train de se diviser dans la cellule, ici, la molécule est capable d'impacter sélectivement les tumeurs par rapport au tissu sain et d'être utilisée dans un maximum de cancers différents. "Pour Olivier Feron, cette approche est aussi avantageuse sur le plan pharmacoéconomique parce que les thérapies ciblées, ou la médecine de précision, coûtent de plus en plus cher pour un gain de survie parfois limité et avec beaucoup de phénomènes de résistance." Ceci va un peu à contre courant de la tendance actuelle 'un patient, une tumeur, un traitement spécifique'. Ici, on revient à des traitements qui peuvent être 'one size fit ail', une molécule pourrait être appliquée dans une large variété de cancers. C'est une nouvelle génération de chimiothérapie qui a aussi un impact pharmacoéconomique en terme de développement par les firmes pharmaceutiques. "L'autre option consiste à cibler le métabolisme des lipides au niveau des cellules cancéreuses. "Nous avons tiré profit du fait qu'il y a des molécules en développement en phase clinique, parfois en phase 3, qui sont des inhibiteurs d'une enzyme qu'on appelle DGAT, qui est la dernière enzyme qui forme les triglycérides. Ces molécules sont développées pour lutter essentiellement contre l'obésité et pour être utilisées aussi dans le contexte du diabète. En empêchant les cellules tumorales de former les gouttelettes lipidiques, on stoppe leurs capacités invasives. Donc on n'élimine pas la tumeur, mais on l'empêche de métastaser. Grâce à ce type de traitement, on pourrait faire du cancer une maladie chronique", conclut Olivier Feron.