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La soixantaine dynamique, les yeux rieurs, le visage jovial et le sourire avenant, Marc-Antoine Sepulchre n'est pas le prototype même du médecin légiste. Médecin, il l'est comme son épouse Isabelle Willemot, et s'il s'occupe parfois des morts professionnellement, au niveau privé, c'est plutôt à réparer les vivants auquel il s'attelle en compagnie de son épouse. Le couple - qui a cinq grands enfants multidiplômés, lesquels ont tous choisi une profession qui a du sens -, a certainement montré l'exemple et le montre encore, partageant d'heureux moments avec des amis en situation de handicap, accueillant actuellement chez eux un couple de réfugiés ukrainiens ou ayant précédemment participé comme volontaires à cinq chantiers d'Action Damien. Ce praticien cultive également, outre l'amour des autres, une passion pour la photographie et les roses qui garnissent depuis leur parterre la grande baie vitrée du salon où il reçoit chaleureusement le visiteur. "Cela me ressource dans ce métier particulier de médecin légiste" confie l'un des protagonistes du documentaire Poulet Frites à l'affiche actuellement (1). Un petit rôle à l'écran certes, mais essentiel dans l'affaire criminelle que ce film passionnant détaille, puisque c'est lui qui découvre dans l'estomac de la victime du meurtre une fameuse frite qui va instiller le doute chez les enquêteurs quant à la culpabilité du principal accusé. Mais revenons au pitch du film de la vie de notre héros avec lequel nous dialoguons: "J'ai tout d'abord exercé la médecine comme médecin généraliste avec mon épouse et comme assistant tiers-temps au Centre universitaire de médecine générale de l'UCL, travaillant sur la relation médecin patient, la relation d'aide". Dans l'empathie et la curiosité constamment, Marc-Antoine Sepulchre fut le premier étudiant chercheur au Centre d'éthique biomédicale de l'UCL, avant d'entamer un baccalauréat spécial en philosophie, tout en exerçant en tant que médecin généraliste. "Tout cela m'a passionné", s'enthousiasme-t-il encore aujourd'hui. "Je me suis alors dit pourquoi est-ce que je ne compléterais pas ce cursus par une formation en droit? J'avoue que j'aime étudier et apprendre." Notre inassouvi téléphone au seul professeur qui lui avait fait entrevoir le champ juridique, le Pr Fernand Meersseman, professeur de médecine légale. Jamais fatigué d'étudier, Marc-Antoine Sepulchre entame cinq années supplémentaires, incluant une licence en médecine d'expertise et évaluation du dommage corporel. "J'ai donc rempilé pour cinq ans de formation, dont deux passées à Münster en Allemagne." L'Institut universitaire de médecine légale de l'Université de Münster était un des laboratoires pionniers dans le monde pour l'identification à l'aide de méthodes d'amplification génétique. Le Pr Bernd Brinkmann qui le dirigeait était un Européen convaincu et oeuvra pour une harmonisation de la formation et de la pratique de la médecine légale en Europe "Pendant quelque vingt ans, j'ai eu, comme médecin légiste près le Parquet de Bruxelles, une garde d'une semaine, jour et nuit à raison d'une par mois au moins. Durant ces semaines-là, je travaillais régulièrement plus de 100 heures. Voici dix ans, à l'aube de la cinquantaine, j'ai choisi d'arrêter cette existence effrénée durant laquelle vous êtes souvent réveillé plusieurs fois par nuit durant votre semaine de garde, incapable de vous rendormir ensuite, tout en ayant en charge l'éducation partagée de cinq enfants. J'ai donc délaissé pour un temps la médecine légale pour la médecine d'expertise." Il sourit plus largement encore: "mais je compte reprendre la médecine légale le mois prochain." S'il a souhaité "replonger", c'est parce que son métier actuel d'expert est un travail surtout solitaire devant l'ordinateur, à rédiger lettres, courriers et rapports d'expertise. Tandis que le médecin légiste a des collègues, est accueilli par la patrouille de police, croise la famille de la victime, travaille en collaboration avec les membres de la police scientifique, participe aux descentes sur les lieux avec le juge d'instruction et le substitut du Procureur du Roi. "Je vais retrouver cette humanité", se réjouit-il, "qui interagit dans une ambiance de coopération telle qu'on la découvre dans le film et qui est souvent propice à la résolution des affaires." On peut légitimement se demander quelle fut la motivation pour le choix d'une telle profession. La réponse tombe, sans bruit: par curiosité intellectuelle. Car au départ, Marc-Antoine Sepulchre aurait pu poursuivre la médecine générale avec son épouse: il a même assez récemment pensé travailler dans une unité de soins palliatifs. "Pour être médecin, il faut avoir en vous le désir de soigner des personnes. Mon métier s'apparente désormais davantage à la recherche de la vérité." Un peu comme la philosophie qui pose également des questions, "comme le médecin légiste". Adepte de François Jullien, le philosophe français actuellement le plus traduit au monde, il se réfère à un de ses livres De la vraie vie. "Par contre", ajoute-t-il, "si vous me demandez ce qu'est la vraie vie, je vous répondrai par un poème de Guillevic, l'un des mes auteurs préférés, car cette forme littéraire permet de dire en peu de mots beaucoup et même parfois beaucoup plus que les mots."Le matin, T'est donné, Ne le prends pas, Comme un dû." Je vois la vie comme un cadeau. Et ma réponse finale à la question qu'est-ce que la vraie vie? pourrait être "nous entraider à (mieux) vivre." Et, lyrique à son tour, Marc-Antoine Sepulchre de conclure: "de mon bureau, je vois le soleil apparaître sur le parterre au-dehors, qui éclaire une rose que j'observe. L'astre du jour va tourner, l'ombre grignoter peu à peu. La vie et sa beauté que j'accueille, je tente de les traduire dans mes photographies."