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Né en 1881 sous le règne du tsar Alexandre III, Natalia Goncharova est une fille de bourgeois provinciaux comme on en trouve chez Tourguéniev ou Tchekhov, sauf que ce ne sont pas des propriétaires terriens mais des fabricants enrichis dans le textile.Un amour du textile qui ne quittera jamais Natalia qui, d'ailleurs, plonge son inspiration aussi bien dans les traditions et le folklore provincial russe que dans la modernité venue d'Europe de l'Ouest, et de France en particulier. Elle entre en contact avec les nouvelles tendances à l'Ecole de peinture de Moscou, qu'elle fréquente alors que ses parents ont déménagé dans la capitale de l'Empire lorsqu'elle avait neuf ans. Si ses premiers tableaux évoquent un Chagall plus cubiste, les suivants - mis en regard d'un superbe Reine Isabeau signé Picasso ou d'un paysage de Derain-, à l'instar des Cueilleurs de pommes accentuent cette inclination cubiste, laquelle annonce l'Avant-garde russe, alors que son Verger en automne daté de 1909 se veut plus fauviste.La grande exposition qui lui est consacrée à Moscou alors qu'elle n'a que 30 ans, démontre l'étendue des sa palette, laquelle embrasse tous les styles : si Un paysage de montagne évoque Van Gogh, La cueillette de pommes, un Gauguin haïtien en plus habillé, son autoportrait en costume traditionnel daté de 1908 est un mélange de réalisme et d'expressionnisme terrien, presque flamand. Mais toujours, Gontcharova oscille entre tradition et modernité, réinventant la première au moyen de la seconde.A l'instar de Sonia Delaunay, Natalia développe une passion pour le design et la mode, qui l'amènera plus tard à imaginer des costumes pour les Ballets russes de Diaghilev, toujours dans une réinterprétation de la tradition. La Première Guerre mondiale, qui se déclenche alors qu'elle est à Paris, la voit s'adonner à la lithographie en noir et blanc, laquelle évoque le travail de Masereel tout en gardant comme dans les icônes qu'elle a également revisitées un côté mystique : les anges y voisinent avec les avions de guerre....Influencée à la même époque par l'avant-garde italienne et le futurisme ( Le cycliste en 1913 est un bon exemple), Goncharova développe une sorte de cubo-futurisme appelé aussi rayonnisme illustrant un monde situé au-delà des apparences, celui des rayons, de l'électricité... voire la spiritualité ?, qui l'entraîne tout naturellement vers l'abstraction et la voit délaisser totalement le style figuratif.Bloquée à Paris par la Révolution d'Octobre, Natalia ne reverra jamais ce pays qu'elle chérit, et certainement pas suite à la mise au pas de l'art par Staline et son renvoi à un réalisme socialiste... iconique en effet.Architecte d'intérieur, styliste et costumière réputée, Goncharova continue à peindre également après 1918, optant pour une abstraction résolue, comme en témoigne son triptyque Les baigneurs ; elle prend l'Espagne en affection, pays dont la forte identité et les costumes colorés lui évoquent bizarrement sa Russie natale : le tableau cubiste La femme espagnole à l'éventail est d'ailleurs placé en regard d'une Femme russe... qui paraît elle aussi très hispanique dans son apparence.L'exposition qui met en exergue la multiplicité des talents de cette artiste, se termine sur sa contribution au théâtre, pour les Ballets russes bien entendu, mais aussi d'autres productions comme L'oiseau de feu.Reste que l'on s'interroge sur son oeuvre picturale après les années 30 et jusqu'à sa mort en 1962 à plus de 80 ans : avait-elle totalement renoncé à la peinture, ou comme Marthe Donas, son style était-il devenu trop figuratif ou anecdotique pour êtres montré ? L'exposition reste muette quant au second triptyque de la vie de Natalia Goncharova qui avait pourtant su imposer sa griffe... son empreinte russe.